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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/332

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L’AMI COMMUN.

— J’essaye… de toutes mes forces ; si tu savais comme c’est rude. Ne me laisse pas partir avant d’avoir parlé ; donne-moi encore un peu de vin. »

Lightwood lui approcha le verre des lèvres. Eugène fit un effort pour chasser le nuage qui voilait sa pensée, et avec un regard qui affecta profondément Mortimer :

« Tu peux, dit-il, me laisser avec Jenny pendant que tu iras lui parler. Tu peux me laisser ; cela ne te donnera pas beaucoup de peine. Tu reviendras vite.

— Sois tranquille ; mais dis-moi ce qu’il faut faire.

— Oh ! je m’en vais !… tu ne peux donc pas me retenir ?

— Dis-le-moi en un mot, Eugène. »

Ses yeux étaient fixes, et le mot qui vint à ses lèvres fut le nom mille fois répété de Lizzie. Mais la petite habilleuse avait suivi la crise avec plus d’attention que jamais. Elle s’approcha de Mortimer, qui regardait son ami avec désespoir ; et lui touchant le bras, tandis qu’elle se posait le doigt sur les lèvres. « Chut ! lui dit-elle, ses yeux se ferment ; il aura sa connaissance quand il les rouvrira, puis-je vous souffler le mot qu’il faut lui dire ?

— Oh ! Jenny, si cela pouvait être celui qu’il cherche ! »

Il se baissa afin de l’entendre, et la regarda avec surprise, lorsqu’elle lui eut dit à l’oreille le mot qu’il devait prononcer.

« Essayez, ajouta la petite ouvrière, dont le visage était radieux. Puis, s’inclinant tout émue, elle baisa la main fracturée d’Eugène, et alla se remettre à sa place.

Deux heures après, Mortimer, voyant l’intelligence reparaître dans les yeux de son ami, se pencha doucement vers l’oreiller.

« Ne parle pas, dit-il, écoute-moi seulement ; suis-tu mes paroles ? » (Léger signe affirmatif.) « Je reviens à ce que tu me disais tout à l’heure ; sois calme, Eugène ; tais-toi, je connais ton désir : tu voudrais l’épouser.

— Oh ! Mortimer, sois béni.

— Calme-toi, ne dis rien. Tu veux que j’aille la trouver, lui demander de vouloir bien être ta femme, et qu’on vous marie tout de suite ; est-ce bien cela ?

— Oui ; le ciel te bénisse !

— Ce sera fait, Eugène ; seulement, il faut que je te quitte pendant quelques heures.

— Ne te l’ai-je pas dit ?

— C’est vrai ; mais je n’y étais pas du tout. Qui penses-tu qui m’a mis sur la voie ? »

Eugène vit la petite habilleuse, qui, les coudes sur le lit et la tête dans ses mains, le regardait d’un air joyeux. Quelque chose