Aller au contenu

Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/8

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
4
L’AMI COMMUN

pas convenu ; vous savez, il y a de ces choses… Tandis que maintenant elle pourra choisir.

— La confiance que vous me témoignez en me parlant de cela, me fait espérer, monsieur, que vous excuserez cette question : n’aurait-elle pas déjà fait son choix ? balbutia le secrétaire.

— Oh ! ciel non ! répondit le Chérubin.

— Les jeunes filles, insinua Rokesmith, choisissent quelquefois sans le confier à leurs pères.

— C’est possible, monsieur mais moi j’ai toute la confiance de ma fille ; il existe même entre nous un pacte en vertu duquel je reçois ses confidences. La ratification de ce traité date précisément du même jour que tout cela, dit le Chérubin en tirant les pans de son habit, et en fourrant ses mains dans les poches de son pantalon. Vous pouvez en être sûr, poursuivit-il, elle n’a encore choisi personne. Il est certain qu’à l’époque où mister John Harmon…

— Plût au ciel qu’il n’eût jamais vécu ! » dit Rokesmith d’un air sombre.

Rumty le regarda avec surprise, ne s’expliquant pas cette animosité à l’égard du défunt. « À l’époque où ce malheureux jeune homme apprit la mort de son père, continua Rumty, il est certain que George Sampson faisait la cour à Bella, et qu’elle n’y mettait point d’obstacle. Mais ce n’était pas sérieux ; et aujourd’hui elle y pense moins que jamais ; car elle est ambitieuse. Je crois, monsieur, pouvoir prédire qu’elle épousera de la fortune. Cette fois elle verra la personne, et pourra se décider en connaissance de cause. Je suis désolé de vous quitter, monsieur ; mais il faut que je prenne cette rue ; au plaisir de vous revoir. »

Satisfait de cet entretien, le secrétaire poursuivit sa route, arriva à l’hôtel Boffin, et y trouva missis Higden.

« Je vous serais bien obligée, Monsieur, dit la vieille femme, si je pouvais vous dire un mot. » Il l’emmena dans son cabinet, la fit asseoir, et lui dit de parler autant qu’il lui ferait plaisir.

« C’est au sujet de Salop, reprit-elle ; voilà pourquoi je suis venue moi-même. Je ne voulais pas qu’il eût connaissance de ce que j’ai à vous dire ; alors je suis partie de bon matin, et j’ai fait la route à pied.

— Vous avez une incroyable énergie, dit Rokesmith ; vous êtes vraiment aussi jeune que moi. »

Elle secoua gravement la tête. « Je suis forte pour mon âge, dit-elle ; mais je ne suis plus jeune, Dieu merci !

— Vous en êtes contente ?

— Oui, monsieur. Si j’étais jeune, il faudrait refaire tout le chemin par où j’ai passé ; la course est longue, et cela devient