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Page:Dickens - L'Ami commun, traduction Loreau, 1885, volume 2.djvu/81

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L’AMI COMMUN.

aux harangues de missis Wilfer ; il a énormément à souffrir du côté de Lavinia, qui voulant montrer à sa sœur qu’elle fait de lui tout ce qu’elle veut, et qui, d’autre part, ayant à le punir de l’admiration qu’il a toujours pour Bella, lui fait mener une vie de chien. Placé entre l’éloquence de la mère, et les rigueurs de celle à qui, dans son abandon, il a voué ses hommages, ce malheureux jeune homme fait vraiment peine à voir. Que son esprit fléchisse sous le poids qui l’accable n’a donc rien d’étonnant, d’autant plus que cela a toujours été un esprit courbatu, et peu solide sur ses jambes.

Ainsi furent employées les heures souriantes jusqu’au moment où il fallut partir. Les fossettes de Bella savamment enfermées dans les brides du chapeau, et les adieux échangés, le père et la fille sortirent de la maison.

« Eh ! bien, cher Pa, l’anniversaire est terminé ; vous en voilà quitte, dit la jolie femme.

— Oui, mon enfant ; encore un de passé ! » répliqua Rumty en respirant à pleins poumons, comme une personne à qui l’air fait du bien. Bella pressa contre elle le bras de son père, et y donna de petites tapes consolantes.

« Merci, chère enfant, dit-il, comme si elle lui eût parlé ; cela va bien, chérie. Mais toi, Bella, que deviens-tu ?

— Je suis loin de m’améliorer, Pa.

— Vraiment !

— Au contraire ; je vais de mal en pis.

— Seigneur ! fit le Chérubin.

— C’est réel ; pire que jamais. Je fais tant de calculs pour savoir quel revenu je dois épouser, et quel moyen il faut employer pour cela, que je commence à en avoir le nez ridé. Est-ce que vous ne le voyez pas ? » Le Chérubin se mit à rire ; Bella lui imprima deux ou trois secousses. « Vous ne rirez pas dit-elle, quand vous verrez la jolie femme avoir le teint hâve et l’œil hagard. Je vous en préviens d’avance : il est impossible que la soif d’argent qui me brûle ne me dessèche pas avant peu. Cette vue-là vous fera mal ; et ce sera bien fait, puisque vous ne voulez pas me croire. Passons maintenant aux confidences : qu’avez-vous à me dire, monsieur ?

— Jo pensais, mon amour, que c’était toi qui aurais quelque chose à me confier.

— Vraiment, monsieur ? Pourquoi ne pas l’avoir demandé tout de suite ? Les confidences d’une jolie femme ne sont pas à dédaigner. Néanmoins je vous pardonne ; regardez-moi s’il vous plaît. »

Elle mit le petit index de son gant sur ses lèvres, et le posa