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Page:Dickens - L’Abîme, 1918.djvu/93

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un homme ordinaire, était produit par l’attente du plaisir qu’il se promettait à entendre chanter Mademoiselle Obenreizer, et par la crainte de ne pouvoir se procurer une bonne place pour ne rien perdre de ce plaisir. On sait que Joey Laddle avait l’oreille un peu dure. Ces malins propos arrivèrent jusqu’à Wilding, qui, dans sa bonté accoutumée, appela Joey auprès de lui. Et Joey Laddle, ayant écouté avec ravissement, se mit à répéter tout bas la fameuse phrase qui avait eu, la semaine précédente, un si grand succès de gaieté dans l’auditoire : « Après cela vous pouvez tous, tant que vous êtes, aller vous coucher. »

Mais les plaisirs simples et la douce joie qui animaient depuis quelque temps le Carrefour des Éclopés ne devaient pas avoir une longue durée. Il y avait une chose, une triste chose, dont chacun ne s’apercevait que trop bien depuis longtemps, et dont on évitait de parler comme d’un sujet pénible.

La santé de Wilding était mauvaise.

Peut-être Walter Wilding aurait-il supporté le coup qui l’avait frappé dans la plus grande affection de sa vie ; peut-être aurait-il triomphé du sentiment qui l’obsédait ; peut-être aurait-il fermé l’œil, à cette voix qui lui criait sans cesse : « Tu tiens dans le monde la place d’un autre et tu jouis de son bien ; » peut-être aurait-il défié et vaincu l’une de ces douleurs, l’un de ces deux tourments ; mais, réunis ensemble, ils étaient trop forts. Un homme, hanté par deux fantômes, est promptement terrassé. Ces deux spectres, — l’idée de celle qui n’était point sa mère et de celui qui était Wilding, le vrai Walter Wilding ; — ces deux