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Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 2.djvu/220

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été les voir emmener au-delà des marais ; que la lumière des torches éclairait leurs visages ; j’insiste sur ce détail, que la lumière des torches éclairait leurs visages, parce que tout était nuit noire autour de nous.

— Oui, dis-je, je me souviens de tout cela.

— Eh bien ! monsieur Pip, un de ces deux prisonniers était derrière vous ce soir ; je le voyais par-dessus votre épaule.

— Attention ! pensai-je. Lequel des deux supposiez-vous que c’était ? lui demandai-je.

— Celui qui a été maltraité, répondit-il aussitôt ; et je jurerais que je l’ai vu. Plus j’y pense, plus je suis certain que c’est lui.

— C’est très-curieux, dis-je en prenant le meilleur air que je pus pour lui faire croire que cela ne me faisait rien. C’est très-curieux, en vérité ! »

Je ne puis exagérer l’inquiétude extraordinaire dans laquelle cette conversation me jeta, ni la terreur étrange que je ressentais en songeant que Compeyson avait été derrière moi comme un fantôme. Car s’il était sorti un moment de ma pensée depuis que Provis était en sûreté, c’était dans le moment même qu’il avait été le plus près de moi ; et penser que je m’en doutais si peu, que j’étais si peu sur mes gardes après toutes les précautions que j’avais prises, c’était comme si, après avoir fermé une enfilade de cent portes pour l’éloigner, je l’eusse retrouvé à mon bras ! Je ne pouvais pas douter non plus qu’il n’eût pas été là, et que si légère que fût une apparence de danger autour de nous, le danger était toujours proche et menaçant.

Je demandai à M. Wopsle à quel moment l’homme était entré.

« Je ne puis vous le dire. Je vous ai vu, et par-dessus votre épaule j’ai vu l’homme. Ce n’est qu’après