Aller au contenu

Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Cependant, je rôdais autour de cette maison sans réussir à m’en arracher, pensant à tous les dangers qui pouvaient menacer l’enfant : incendie, vol, meurtre même, et me figurant qu’il allait arriver quelque malheur si je me retirais. Le bruit d’une porte ou d’une croisée qu’on fermait dans la rue me ramenait de nouveau devant le logis du marchand de curiosités. Je traversais le ruisseau pour regarder la maison et m’assurer que ce n’était pas de là que venait le bruit : mais non, la maison était restée noire, froide, sans vie.

Il passait peu de monde ; la rue était triste et morne ; il n’y avait presque que moi. Quelques traînards, sortis des théâtres, marchaient à la hâte, et, de temps en temps, je me jetais de côté pour éviter un ivrogne tapageur qui regagnait sa demeure en chancelant ; mais c’étaient des incidents rares et qui même cessèrent bientôt tout à fait. Une heure sonna à toutes les horloges. Je me remis à arpenter le terrain, me promettant sans cesse que ce serait la dernière fois, et chaque fois me manquant de parole, sous quelque nouveau prétexte, comme je l’avais fait déjà si souvent.

Plus je pensais aux discours, au regard, au maintien du vieillard, moins je parvenais à me rendre compte de ce que j’avais vu et entendu. Un pressentiment qui me dominait me disait que le but de cette absence nocturne ne pouvait être bon. Je n’avais eu connaissance du fait que par la naïveté indiscrète de l’enfant ; et bien que le vieillard fût là, bien qu’il eût été témoin de ma surprise non équivoque, il avait gardé un étrange mystère sur ce sujet sans me donner un seul mot d’explication. Ces réflexions ramenèrent plus vivement que jamais à ma mémoire sa physionomie égarée, ses manières distraites, ses regards inquiets et troublés. Sa tendresse pour sa petite-fille n’était pas incompatible avec les vices les plus odieux ; et dans cette tendresse même n’y avait-il pas une contradiction étrange ? Sinon, comment cet homme eût-il pu se résoudre à abandonner ainsi son enfant ? Cependant, malgré mes dispositions à prendre de lui une mauvaise opinion, je ne doutais pas un moment de la réalité de son affection ; et même je ne pouvais pas en admettre le doute, quand je me rappelais ce qui s’était passé entre nous et le son de voix avec lequel il avait appelé sa Nelly.

« Je reste ici naturellement… m’avait dit l’enfant, en réponse à ma question C’est comme cela tous les soirs. » Quel mo-