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Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/264

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malheur. Ainsi, ils ont emporté ton argent de ta chambre tandis que tu dormais ! ajouta-t-il d’un ton de compassion, bien différent de l’air hypocrite et mystérieux qu’il avait pris jusque-là. Pauvre Nell ! pauvre petite Nell ! … »

L’enfant pencha la tête et pleura. Le ton de sympathie que le vieillard avait mis dans ses paroles était tout à fait sincère ; Kelly en était bien sûre. Et ce n’était pas la moindre partie de son chagrin, de savoir que tout ce qu’il faisait là, il croyait le faire pour elle.

« Pas un mot sur ce sujet à personne autre qu’à moi, dit le Vieillard ; pas un mot, même à moi, ajouta-t-il vivement, car cela ne peut servir à rien. Toutes les pertes que nous avons faites ne valent pas une larme de tes yeux, ma chérie. Nous n’y penserons plus quand nous aurons tout regagné.

— Oh ! la perte n’est rien, dit l’enfant en levant les yeux au ciel ; non, la perte n’est rien : j’y suis bien résignée ; elle ne me coûterait pas une larme, quand chaque sou de ma bourse aurait été un billet de mille francs.

— Bien, bien, se dit le vieillard réprimant une réponse impétueuse qui lui était venue sur le bord des lèvres : c’est qu’elle ne sait rien. Tant mieux ! tant mieux !

— Mais écoutez-moi, dit vivement l’enfant ; voulez-vous m’écouter ?

— Oui, oui, j’écoute, répondit le vieillard sans la regarder encore, une jolie petite voix, je t’assure, et que j’aime toujours à entendre. C’est comme si j’entendais sa mère ; pauvre enfant !

— Eh bien ! laissez-moi vous persuader ; oh ! laissez-moi vous persuader, dit Nelly, de ne plus songer désormais ni aux gains ni aux pertes, et de ne pas poursuivre d’autre fortune que celle que nous pouvons acquérir ensemble.

— C’est ce que je fais aussi ; oui, nous la poursuivons ensemble, répliqua le grand-père regardant encore de côté et semblant concentré en lui-même : la sainteté du but peut justifier l’amour du jeu.

— Avons-nous été plus malheureux, reprit l’enfant, depuis que vous avez renoncé à ces habitudes et que nous voyageons ensemble ? N’avons-nous pas été plus à notre aise et plus heureux depuis que nous n’avons plus notre maison pour abri ? Qu’avons-nous à regretter dans cette triste maison, où votre esprit était en proie à tant de tourments ?