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Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/58

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votre bâton ! » dit le commis, qui s’était jeté de côté et cherchait l’occasion de s’élancer sur le nain.

« Approchez-vous un peu, que je le laisse… tomber sur votre crâne ! Un peu plus près, un peu plus près !… »

Le nain avait les yeux étincelants. Le jeune homme déclina l’invitation ; mais, quand il crut voir que son maître était moins sur ses gardes, il s’élança, et, saisissant l’arme, il tâcha de l’arracher des mains de Quilp. Celui-ci, qui était fort comme un lion, tint bon tandis que l’autre tirait de toutes ses forces ; alors Quilp lâcha tout à coup le bâton, et son adversaire, privé de ce point d’appui, alla en vacillant tomber en arrière sur la tête. Le succès de cette manœuvre flatta M. Quilp au delà de toute expression : il se mit à rire et à trépigner des pieds avec une gaieté folle.

« C’est égal, dit le jeune garçon, secouant et frottant à la fois sa tête ; allez voir si jamais je me battrai contre ceux qui diront que vous êtes le nain le plus laid qu’on puisse montrer pour un penny !

— Comment ! chien, voulez-vous dire que je ne le suis pas ?

— Non !

— Alors pourquoi vous battiez-vous sur mon domaine, drôle que vous êtes ?

— Parce qu’il s’est permis de dire cela, mais ce n’est pas parce que ça n’est pas vrai.

— Pourquoi a-t-il prétendu, s’écria Kit, que miss Nelly est laide et qu’elle et mon maître sont obligés de faire tout ce qu’il vous plaît ?

— Il l’a dit parce qu’il est fou, et vous avez parlé en garçon sage et spirituel, trop spirituel pour vivre longtemps, à moins que vous n’ayez soin de votre santé, Kit. »

Quilp, en faisant cette réponse, avait pris un air doucereux, mais il y avait surtout un fond de malice qui couvait dans ses yeux et sur ses lèvres. Il ajouta :

« Kit, voici six pence pour vous. Dites toujours la vérité. En toute circonstance soyez sincère, Kit. Et vous, chien, fermez le comptoir et donnez-moi la clef. »

Le commis obéit à cet ordre ; le zèle qu’il avait déployé pour défendre son maître fut récompensé par un violent coup que celui-ci lui appliqua sur le nez avec la clef, et qui lui fit venir des larmes aux yeux. Ensuite M. Quilp s’en retourna chez lui