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Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/9

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évitant les mains brûlantes des amateurs avinés qui les marchandent ; les autres s’étouffant en se serrant, en se blottissant contre leurs compagnons d’esclavage, attendant que quelque chaland plus sobre et plus humain réclame pour eux quelques gouttes d’eau fraîche qui puissent étancher leur soif et rafraîchir leur plumage[1] ! Cependant quelque vieux clerc, qui passe par là pour aller à son bureau, se demande, en jetant les yeux sur les tourterelles, qu’est-ce donc qui lui fait rêver bois, prairies et campagnes.

Mais je n’ai pas ici pour objet de m’étendre au long sur mes promenades. L’histoire que je vais raconter tire son origine d’une de ces pérégrinations, dont j’ai été amené à parler d’abord en guise de préface.

Une nuit, je m’étais mis à rôder dans la Cité. Je marchais lentement, selon ma coutume, méditant sur une foule de sujets. Soudain, je fus arrêté par une question dont je ne saisis pas bien la portée, quoiqu’elle semblât cependant m’être adressée : la voix qui l’avait prononcée était pleine d’une douceur charmante qui me frappa le plus agréablement du monde. Je m’empressai de me retourner et aperçus, à la hauteur de mon coude, une jolie petite fille qui me priait de lui indiquer une certaine rue située à une distance considérable, et par conséquent dans une tout autre partie de la ville.

« D’ici là, lui dis-je, mon enfant, il y a une bien grande distance.

— Je le sais, monsieur, répliqua-t-elle timidement ; je le sais à mes dépens, car c’est de là que je suis venue jusqu’ici.

— Seule ? m’écriai-je avec quelque surprise.

— Oh ! oui, peu m’importe. Mais ce qui maintenant me fait un peu peur, c’est que je me suis égarée.

— Et d’où vient que vous vous adressez à moi ? Supposé que je voulusse vous tromper…

— Je suis sûre que vous n’en feriez rien, dit la petite créature ; car vous êtes un vieux gentleman, et vous marchez si lentement ! »

Je ne saurais dire quelle impression je reçus de cette réplique et de l’énergie qui la caractérisa. Une larme brilla dans les yeux

  1. C’est à Covent-Garden-Market que se vendent les pigeons et autres volatiles vivants