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Page:Dictionnaire de Trévoux, 1771, II.djvu/991

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COU

☞ On dit familièrement donner à courre à quelqu’un, le mettre dans la nécessité de faire bien des pas.

☞ On dit d’un homme qui a l’esprit troublé jusqu’à être extravagant, qu’il est fou à courir les rues, à courre les champs.

☞ En style populaire, courir la prétentaine. Aller sans s’arrêter. Courir ou courre le guilledou, aller en débauche.

Courir, en termes de marine, signifie, faire route, gouverner, porter le cap du côté où l’on veut aller. Excurrere. Ce vaisseau a couru deux jours sous un même rumb, sous un même méridien. On appelle Courir des bordées différentes, quand on est obligé à louvoyer & à faire divers reviremens. Courir ou courre à l’autre bord, c’est cingler à un rumb de vent opposé à celui que l’on fait. Quand on répond à la question, où court-il, qui veut dite, quelle route tient-il ? Il court comme nous ; c’est-à-dire, il fait la même route que nous. Courir Nord c’est aller au Nord ; courir Sud, c’est aller au Sud, ou du Sud au Nord. Courir en longitude, c’est aller de l’Est à l’Ouest, & de l’Ouest à l’Est. Courir en latitude, c’est cingler du Nord au Sud, ou du Sud au Nord. On dit qu’un vaisseau a couru sur son ancre, lorsqu’étant poussé par le vent, ou par le courant de la mer, il a été porté vers l’endroit où l’ancre a mouillé. Courir terre à terre, ou cabotter, c’est aller le long de la côte. Courir la mer, c’est aller en haute mer ; c’est aussi aller, venir, faire diverses courses sur mer pour butiner. Courir le bon bord, parmi les Corsaires, signifie attaquer les vaisseaux marchands dont la prise peut enrichir. Dans le style figuré & familier, courir le bon bord, c’est fréquenter les mauvais lieux. Courir bord sur bord, c’est louvoyer tantôt d’un côté, tantôt de l’autre en chicannant le vent quand il est contraire, ou en attendant un autre vaisseau dont on ne veut pas s’éloigner.

Courir au plus près, terme de Marine, c’est aller autant qu’il est possible, contre le vent : ainsi si le vent est au Nord, on peut aller au Ouest-Nord-Ouest, où en changeant de bord, à l’Est-Nord-Est.

Courir se dit aussi des terres, des rochers & des côtes qui s’étendent selon tel air de vent. Vergere, protendi. Cette côte court Est-Ouest, c’est à-dire, va droit d’Orient en Occident. Ces rochers courent Sud-Ouest environ trois lieues ; pour dire, s’étendent depuis le midi jusqu’à l’Occident. Le Caucase, ou le Taurus, est une longue suite de montagnes qui court par le milieu de l’Asie du Couchant à l’Orient. Chevreau.

Courre la bouline. Châtiment sur mer. On fait passer le criminel au milieu de tout l’équipage rangé en haie des deux côtés, de l’avant à l’arrière, & chacun lui donne un coup de corde.

Courir, terme d’Escrime. C’est avancer sur son ennemi. Urgere adversarium.

Courir le bal, aller de bal en bal. Courir les ruelles, aller de visite en visite chez les Dames. Virgineos cætus, circulos consectari.

Courir ou Courre sus à quelqu’un. C’est un style d’ordonnances & de déclarations, se jeter sur lui, l’arrêter, le tuer. Tout le monde lui court sus. Il a paru une déclaration qui enjoint de courir sus l’ennemi.

Courir signifie aussi, fréquenter certains lieux, y aller souvent. Sequi, sectari. Les curieux de tableaux, de bijoux, courent les inventaires. Les dévots courent les sermons. Les galants courent le bal, les ruelles. Les Musiciens courent les concerts. On dit en ce sens, on court un tel Prédicateur. Cet homme est si agréable, que toutes les Dames le courent. Il ne tient pas à moi que je ne voie Madame une telle. C’est assez qu’elle vous aime pour me la faire courir, mais elle court après quelqu’autre ; j’ai beau la prier de m’attendre, je ne puis parvenir à ce bonheur. Madame de Sev.

Courir se dit encore de certaines choses qu’on fait vîte, avec précipitation. Lisez doucement, ne courez pas. Cela est écrit en courant. Cursim. Il ne faut pas courir en disant ses prières.

Courir, dans la signification de couler, se dit encore pour exprimer le mouvement des choses fluides, des ruisseaux, des rivières, du sang, &c. Fluere. L’eau qui court est la plus saine. Le sang court dans les veines. Je sens une humeur qui me court dans la tête.

Courir se dit aussi du temps & des choses qui se succèdent, ou qui coulent l’une après l’autre. Fluere, volvi. C’est le mois qui court, l’année qui court ; pour dire, le mois, l’année présente. Le temps de son bannissement a couru d’un tel jour ; pour dire, a commencé un tel jour. On le dit aussi des intérêts qui courent du jour de la demande en justice, du jour de la constitution ; pour dire, qu’ils sont dûs dès ce temps-là. On dit aussi qu’une homme court sa quarante-cinquième année, court son année climactérique ; pour dire qu’il est parvenu à ces âges-là. Decurrere.

Courir signifie aussi être en vogue, être reçu, approuvé. In usu esse, recipi ab omnibus. Il faut suivre la mode qui court. La monnoie qui court.

Courir se dit aussi de ce qui se publie, de ce qui se répand, de ce qu’on sème dans le monde, de ce qu’on sait par les mains, ou par la bouche de plusieurs personnes. Il court un bruit. Rumor est, spargitur, manat. Vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles, deux chansons. Mol. On a fait courir un manifeste sur la déclaration de la guerre. On a fait courir un libelle contre l’honeur de cette partie. Répandre dans le public, les chansons qui courent par la ville.

☞ On dit de quelqu’un qui cherche de l’argent à emprunter, que son billet court chez les Notaires, & que ces billets courent sur la place, pour dire qu’on cherche à s’en défaire.

☞ On fait courir des billets, le billet, pour avertir ou assembler des gens qui ont intérêt à quelque affaire.

☞ On fait courir le billet, pour avertir, des choses volées ou perdues. On dit aussi, faire courir une santé, pour dire, la faire boire à la ronde. Propinando culpiam pateram circumferre. On dit aussi, qu’il court bien des fièvres, des maladies ; pour dire, qu’elles sont bien communes, que plusieurs gens en sont attaqués.

☞ Dans les délibérations, on dit l’avis qui court ; pour dire le plus fort, celui qui a plus de voix.

On dit, faire courir la voix ; pour dire, demander les avis à ceux qui composent une assemblée. Acad. Fr.

Courir-franc ; terme de négoce d’argent, qui se dit lorsque les Agens de banque ne prennent rien pour leurs salaires des Lettres de change qu’ils font fournir pour de l’argent comptant.

Courir, en termes de Manufacture de draps, on dit que les fils courent, lorsque l’étoffe n’est pas assez remplie de trame, ou qu’elle n’est pas suffisamment battue.

Courir la poule, terme de jeu de Trictrac. Lorsqu’on est quatre ou cinq joueurs, & qu’on n’a qu’un seul trictrac, on peut courir la poule, pour que chacun s’amuse : on tire au fort pour le rang, chacun met un petit enjeu, & celui qui peut gagner un tout contre chacun des autres, tire la poule ; mais quand celui qui a gagné quelques tours en perd un, ceux qui n’ont pas encore joué, jouent successivement contre le dernier vainqueur, après quoi les premiers vaincus reviennent sur les rangs, le premier de tous, met un second enjeu sur la poule, joue sa partie, & chacun y passe à son tour, en fournissant son enjeu, pour grossir la poule, jusqu’à ce qu’un des concurrens ait vaincu tous les autres, sans interruption. A chaque fois qu’un ancien vaincu se remet au jeu, il grossit toujours la poule : elle devient par-là très-considérable, puisqu’on est