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Page:Dictionnaire pratique et historique de la musique.pdf/148

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grand luxe de recommandations et de détails. En demandant à leurs interprètes une habileté d’E. de plus en plus grande, ils ont réduit la liberté qui leur était autrefois laissée et de laquelle étaient nés les plus étranges abus. Les instrumentistes aussi bien que les chanteurs se livraient, dans l’E., depuis une époque que l’on peut certainement faire remonter à celle même des origines de l’art harmonique, à un étalage de virtuosité, sous lequel disparaissaient les contours de l’œuvre qu’ils faisaient entendre. Dès le début du xvie s., l’ornementation improvisée ou écrite de la mélodie se poursuivait quelquefois d’un bout à l’autre et dans toutes les parties simultanées d’une pièce polyphonique. Les habitudes de l’E. toléraient également la distribution des parties entre des agents sonores différents de ceux pour lesquels elles avaient été écrites. On ne doit pas de nos jours, pour l’E. des œuvres anciennes, s’appuyer sur ces pratiques, contre lesquelles protestaient à l’occasion des maîtres qui s’en trouvaient lésés. Au xviie s., comme si un compromis avait été conclu entre les compositeurs et les virtuoses, on commença de codifier les règles de l’E., de dresser des « tables » pour l’explication des signes d’ornement que les auteurs eux-mêmes traçaient sur leurs notations, et d’adopter un vocabulaire italien pour prescrire les nuances de mouvement, d’intensité et d’expression. Le Dictionnaire de musique de Brossard (1703) ne se propose pour but que l’explication des termes de ce vocabulaire, alors en passe de devenir international. Dans le xviiie s., c’est dans l’E. vocale que se réfugient principalement les traditions d’indépendance à l’égard du texte musical et de vaniteuse gloriole des virtuoses. Il ne faut rien moins, pour les réfréner, que l’autorité volontaire d’un Gluck. « Il suffit, dit-il, de la plus légère altération dans un mouvement ou dans l’expression, il suffit d’un détail hors de sa place, pour que l’effet d’une scène entière soit détruit et que l’air J’ai perdu mon Eurydice devienne un air de marionnettes. » L’obéissance absolue de l’exécutant aux intentions du compositeur devient obligatoire, et, tout en laissant place aux intentions du compositeur devient obligatoire, et, tout en laissant place aux nuances personnelles d’interprétation, proscrit, du moins en principe, toute altération de la pensée musicale. Sans doute, on verra encore, au xixe s., Ferdinand Hiller varier la reprise du premier morceau dans l’E. qu’un quatuor de Haydn, et la Malibran, à la fin d’un acte d’opéra, recommencer neuf fois, de neuf manières différentes, l’E. d’un passage réclamé par un public en délire. Ce seront là prouesses de plus en plus rares et que compenseront les efforts d’autres artistes vers la possession de la vérité. C’est par la clarté et la sincérité de l’E. que l’orchestre du Conservatoire de Paris, il ne faut jamais l’oublier, fit comprendre à R. Wagner le sens, jusque-là pour lui impénétrable, de la 9e Symphonie de Beethoven. C’est, dans une sphère plus modeste, par les mêmes qualités que quatre musiciens français, Maurin, Chevillard, Mas et Sabatier, réunis dans une ferveur commune pour l’E. des derniers quatuors de Beethoven, firent les premiers reconnaître en ces œuvres, longtemps réputées injouables et obscures, les plus extraordinaires chefs-d’œuvre de la musique de chambre. Les principaux moyens de l’E. sont le mécanisme, les nuances, le phrasé, l’expression ; son but est le service de l’art. « La première règle de l’E., a dit Wagner, doit être de traduire avec une fidélité scrupuleuse les intentions des compositeurs, afin de transmettre aux sens de l’auditeur l’inspiration de la pensée sans altération ni déchet. Le plus grand mérite du virtuose consiste donc à se pénétrer parfaitement de l’idée du morceau qu’il exécute et à n’y introduire aucune modification de son cru. » C’est afin d’éviter son ingérence que les compositeurs modernes apportent dans leur notation une précision de plus en plus méticuleuse. Sauf pour le trille et quelquefois pour le grupetto, ils ne se servent plus des signes abréviatifs pour les ornements mélodiques, qu’ils écrivent en toutes lettres, c’est-à-dire en toutes notes ; ils fixent le mouvement de chaque morceau et de chaque épisode d’un morceau par les chiffres métonymiques ; ils indiquent par le groupement des figures de notes, par la disposition des signes de liaison, par la situation des valeurs de notes et de silences, tout ce qui concerne le phrasé, qui est la ponctuation du discours musical ; par les soufflets, les crochets, les lettres abréviatives du piano, du forte et de leurs différents degrés, les nuances d’intensité ; par les virgules, la respiration des chanteurs ou des exécutants sur les instruments à vent ; par des accents, des points, des traits horizontaux, des signes particuliers à chaque instrument, les effets de sonorité, les nuances du toucher, le tiré ou le poussé de l’archet, l’usage des sons bouchés, des sons harmoniques ; par des chiffres,