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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/107

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et malfaisants, étaient adorés ; un de ces idolâtres se fût saintement[1] persuadé qu’il était juste de préférer le salut d’un chat au salut de son père, et qu’il ne pouvait se dispenser en conscience de traiter en ennemi quiconque ne professait pas ce culte, ce fidèle croyant n’eût été qu’un homme détestable : et toute action fondée sur des dogmes pareils ne peut être qu’injuste, abominable et maudite.

Toute méprise sur la valeur des choses qui tend à détruire quelque affection raisonnable, ou à en produire d’injustes, rend vicieux, et nul motif ne peut excuser cette dépravation. Celui, par exemple, qui, séduit par des vices brillants, a mal placé son estime, est vicieux lui-même. Il est quelquefois aisé de remonter à l’origine de cette corruption nationale. Ici, c’est un ambitieux qui vous étonne par le bruit de ses exploits ; là, c’est un pirate, ou quelque injuste conquérant qui, par des crimes illustres, a surpris l’admiration des peuples, et mis en honneur des caractères qu’on devrait détester. Quiconque applaudit à ces renommées, se dégrade lui-même. Quant à celui qui, croyant estimer et chérir un homme vertueux, n’est que la dupe d’un scélérat hypocrite, il peut être un sot ; mais il n’est pas un méchant pour cela.

L’erreur de fait, ne touchant point aux affections, ne produit point le vice ; mais l’erreur de droit influe, dans toute créature raisonnable et conséquente, sur ses affections naturelles, et ne peut manquer de la rendre vicieuse.

Mais il y a beaucoup d’occasions où les matières de droit sont d’une discussion trop épineuse, même pour les personnes les plus éclairées[2]. Dans ces circonstances, une faute légère ne suffit

  1. <poem>O sanctus gentes, quibus haec nascuntur in hortis
    Numina
     !        (Juvenal. Sat. xv, v. 10 et 11.)
  2. Les erreurs particulières engendrent les erreurs populaires, et alternativement : on aime à persuader aux autres ce que l’on croit, et l’on résiste difficilement à ce dont on voit les autres persuadés. Il est presque impossible de rejeter les opinions qui nous viennent de loin, et comme de main en main. Le moyen de donner un démenti à tant d’honnêtes gens qui nous ont précédés ! Les temps écartent d’ailleurs une infinité de circonstances qui nous enhardiraient. « Ceux qui se sont abbruvez successivement de ces estrangetez, dit Montaigne, ont senti par les oppositions qu’on leur a faictes, où logeoit la difficulté de la persuasion, et ils ont calfeutré ces endroicts de pieces nouvelles ; ils n’ont pas craind d’aiouter de leur invention, autant qu’ils le croyoient necessaire, pour suppléer à la resistance et au default qu’ils pensoient être en la conception d’aultruy. Essais