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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/140

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la créature se frappe elle-même et s’élance sur ceux qui la secourent, c’est une horloge détraquée qui sonne mal à propos ; c’est la machine qui agit, et non l’animal.

Toute action de l’animal considéré comme animal, part d’une affection, d’un penchant, ou d’une passion qui le meut ; telles que seraient, par exemple, l’amour, la crainte, ou la haine.

Des affections faibles ne peuvent l’emporter sur des affections plus puissantes qu’elles, et l’animal suit nécessairement[1] dans l’action le parti le plus fort. Si les affections inégalement partagées forment en nombre ou en essence un côté supérieur à l’autre, c’est de celui-là que l’animal inclinera. Voilà le balancier qui le met en mouvement et qui le gouverne.

Les affections qui déterminent l’animal dans ses actions, sont de l’une ou de l’autre de ces trois espèces :

Ou des affections naturelles et dirigées au bien général de son espèce.

Ou des affections naturelles et dirigées à son intérêt particulier.

Ou des affections qui ne tendent ni au bien général de son espèce, ni à ses intérêts particuliers, qui même sont opposées à son bien privé, et que par cette raison nous appellerons affections dénaturées : selon l’espèce et le degré de ces affections, la créature qu’elles dirigent est bien ou mal constituée, bonne ou mauvaise.

Il est évident que la dernière espèce d’affections est toute vicieuse. Quant aux deux autres, elles peuvent être bonnes ou mauvaises, selon leur degré. Elles maîtrisent toujours la créature purement sensible ; mais la créature sensible et raisonnable peut toujours les maîtriser, quelque puissantes qu’elles soient.

Peut-être trouvera-t-on étrange que des affections sociales puissent être trop fortes, et des affections intéressées trop faibles. Mais pour dissiper ce scrupule, on n’a qu’à se rappeler (ce que nous avons dit plus haut) que, dans des circonstances particulières, les affections sociales deviennent quelquefois excessives, et se portent à un point qui les rend vicieuses. Lors, par exemple, que la commisération est si vive qu’elle manque son but, en supprimant par son excès les secours qu’on a droit d’en

  1. Remarquez qu’il ne s’agit que de l’animal. (Diderot.)