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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/163

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horreur, toutes les fois qu’il aura les mêmes garants de son obéissance. Voilà ce qu’un moment de réflexion ne manquera pas d’apprendre à quiconque, entraîné par l’exemple de ses semblables, ou bien effrayé par des ordres supérieurs, sera tenté de prêter sa main à des actions que son cœur désapprouvera.

Quant au souvenir du tort fait aux vrais intérêts et au bonheur présent par une conduite extravagante et déraisonnable, c’est la seconde branche de la conscience. La sentiment d’une difformité morale, contracté par les crimes et par les injustices, n’affaiblit ni ne suspend l’effet de cette importune réflexion ; car quand le méchant ne rougirait pas en lui-même de sa dépravation, il n’en reconnaîtrait pas moins que, par elle, il a mérité la haine de Dieu et des hommes. Mais une créature dépravée, n’eût-elle pas le moindre soupçon de l’existence d’un Être suprême, en considérant toutefois que l’insensibilité pour le vice et pour la vertu suppose un désordre complet dans les affections naturelles, désordre que la dissimulation la plus profonde ne peut dérober, on conçoit qu’avec ce malheureux caractère, elle n’aura pas grande part dans l’estime, l’amitié et la confiance de ses semblables, et que par conséquent elle aura fait un préjudice considérable à ses intérêts temporels et à son bonheur actuel. Qu’on ne dise pas que la connaissance de ce préjudice lui échappera : elle verra tous les jours avec regret et jalousie les manières obligeantes, affectueuses, honorables, dont les honnêtes gens se comblent réciproquement. Mais puisque, partout où l’affection sociale est éteinte, il y a nécessairement dépravation, le trouble et les aigreurs doivent accompagner cette conscience intéressée, ou le sentiment intérieur du tort qu’une conduite folle et dépravée a porté aux vrais intérêts et à la félicité temporelle.

Par tout ce que nous avons dit, il est aisé de comprendre combien le bonheur dépend de l’économie des affections naturelles. Car si la meilleure partie de la félicité consiste dans les plaisirs intellectuels, et si les plaisirs intellectuels découlent de l’intégrité des affections sociales, il est évident que quiconque jouit de cette intégrité, possède les sources de la satisfaction intérieure, satisfaction qui fait tout le bonheur de la vie.