Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/167

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dresse pour leurs petits ; ils prévoient les saisons ; ils mettent en usage toutes les ressources que la nature leur suggère pour la conservation de leur espèce, contre l’incommodité des temps et les ruses de leurs ennemis ; enfin l’occupation et le travail les remettent dans leur bonté naturelle, et la nonchalance et les autres vices les abandonnent avec l’abondance et l’oisiveté.

Entre les hommes, l’indigence condamne les uns au travail, tandis que d’autres, dans une abondance complète, s’engraissent de la peine et de la sueur des premiers. Si ces opulents ne suppléent par quelque exercice convenable aux fatigues du corps dont ils sont dispensés par état ; si, loin de se livrer à quelque fonction, honnête par elle-même et profitable à la société, telles que la littérature, les sciences, les arts, l’agriculture, l’économie domestique, ou les affaires publiques, ils regardent avec mépris toute occupation en général ; s’ils trouvent qu’il est beau de s’ensevelir dans une oisiveté profonde, et de s’assoupir dans une mollesse ennemie de toute affaire, il n’est pas possible qu’à la faveur de cette nonchalance habituelle les passions n’exercent tous leurs caprices, et que dans ce sommeil des affections sociales, l’esprit qui conserve toute son activité ne produise mille monstres divers.

À quel excès la débauche n’est-elle pas portée dans ces villes qui sont depuis longtemps le siége de quelque empire ! Ces endroits peuplés d’une infinité de riches fainéants, et d’une multitude d’ignorants illustres, sont plongés dans le dernier débordement. Partout ailleurs, où les hommes assujétis au travail dès la jeunesse se font honneur d’exercer dans un âge plus avancé des fonctions utiles à la société, il n’en est pas ainsi. Les désordres, habitants des grandes villes, des cours, des palais, de ces communautés opulentes de dervis oiseux, et de toute société dans laquelle la richesse a introduit la fainéantise, sont presque inconnus dans les provinces éloignées, dans les petites villes, dans les familles laborieuses, et chez l’espèce de peuple qui vit de son industrie.

Mais si nous n’avons rien avancé jusqu’à présent sur notre constitution intérieure qui ne soit dans la vérité, si l’on convient que la nature a des lois qu’elle observe avec autant d’exactitude dans l’ordonnance de nos affections que dans la production de nos membres et de nos organes, s’il est démontré que l’exercice est essentiel à la santé de l’âme, et que l’âme n’a point d’exercice