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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/205

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mille fois plus fou de nier qu’il existe un Dieu que de nier que votre semblable pense. Or, que cela soit ainsi, c’est à vos lumières, c’est à votre conscience que j’en appelle : avez-vous jamais remarqué dans les raisonnements, les actions et la conduite de quelque homme que ce soit, plus d’intelligence, d’ordre, de sagacité, de conséquence que dans le mécanisme d’un insecte ? La Divinité n’est-elle pas aussi clairement empreinte dans l’œil d’un ciron que la faculté de penser dans les ouvrages du grand Newton ? Quoi ! le monde formé prouve moins une intelligence que le monde expliqué ?… Quelle assertion !… « Mais, répliquez-vous, j’admets la faculté de penser dans un autre d’autant plus volontiers que je pense moi-même… » Voilà, j’en tombe d’accord, une présomption que je n’ai point ; mais n’en suis-je pas dédommagé par la supériorité de mes preuves sur les vôtres ? L’intelligence d’un premier être ne m’est-elle pas mieux démontrée dans la nature par ses ouvrages, que la faculté de penser dans un philosophe par ses écrits ? Songez donc que je ne vous objectais qu’une aile de papillon, qu’un œil de ciron, quand je pouvais vous écraser du poids de l’univers. Ou je me trompe lourdement, ou cette preuve vaut bien la meilleure qu’on ait encore dictée dans les écoles. C’est sur ce raisonnement, et quelques autres de la même simplicité, que j’admets l’existence d’un Dieu, et non sur ces tissus d’idées sèches et métaphysiques, moins propres à dévoiler la vérité qu’à lui donner l’air du mensonge.

XXI.

J’ouvre les cahiers d’un professeur célèbre[1] et je lis : « Athées, je vous accorde que le mouvement est essentiel à la matière ; qu’en concluez-vous ?… que le monde résulte du jet fortuit des atomes ? J’aimerais autant que vous me dissiez que l’Iliade d’Homère, ou la Henriade de Voltaire est un résultat de jets fortuits de caractères. » Je me garderai bien de faire ce raisonnement à un athée : cette comparaison lui donnerait beau jeu. Selon les lois de l’analyse des sorts, me dirait-il, je

  1. Sans doute Rivard qui professait alors la philosophie, dit l’édition Brière ; mais le raisonnement qui va suivre se trouve de fondation dans les cahiers de tous les professeurs.