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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/213

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XLII.

Lorsqu’on annonce au peuple un dogme qui contredit la religion dominante, ou quelque fait contraire à la tranquillité publique, justifiât-on sa mission par des miracles, le gouvernement a droit de sévir, et le peuple de s’écrier : Crucifige. Quel danger n’y aurait-il pas à abandonner les esprits aux séductions d’un imposteur, ou aux rêveries d’un visionnaire ? Si le sang de Jésus-Christ a crié vengeance contre les Juifs, c’est qu’en le répandant, ils fermeraient l’oreille à la voix de Moïse et des Prophètes, qui le déclaraient le Messie. Un ange vînt-il à descendre des cieux, appuyât-il ses raisonnements par des miracles, s’il prêche contre la loi de Jésus-Christ, Paul veut qu’on lui dise anathème. Ce n’est donc pas par les miracles qu’il faut juger de la mission d’un homme, mais c’est par la conformité de sa doctrine avec celle du peuple auquel il se dit envoyé, surtout lorsque la doctrine de ce peuple est démontrée vraie.

XLIII.

Toute innovation est à craindre dans un gouvernement. La plus sainte et la plus douce des religions, le christianisme même ne s’est pas affermi sans causer quelques troubles. Les premiers enfants de l’Église sont sortis plus d’une fois de la modération et de la patience qui leur étaient prescrites. Qu’il me soit permis de rapporter ici quelques fragments d’un édit de l’empereur Julien ; ils caractériseront à merveille le génie de ce prince philosophe, et l’humeur des zélés de son temps.

« J’avais imaginé, dit Julien, que les chefs des Galiléens sentiraient combien mes procédés sont différents de ceux de mon prédécesseur, et qu’ils m’en sauraient quelque gré : ils ont souffert, sous son règne, l’exil et les prisons ; et l’on a passé au fil de l’épée une multitude de ceux qu’ils appellent entre eux hérétiques… Sous le mien, on a rappelé les exilés, élargi les prisonniers, et rétabli les proscrits dans la possession de leurs biens. Mais telle est l’inquiétude et la fureur de cette espèce d’hommes, que, depuis qu’ils ont perdu le privilège de se dévorer les uns les autres, de tourmenter et ceux qui sont attachés à leurs dogmes, et ceux qui suivent la religion auto-