Aller au contenu

Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/304

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


48. — Si Philoxène a l’avantage, c’est la faute d’Athéos, reprit vivement Oribaze ; il n’avait qu’à faire un pas de plus pour balancer au moins la victoire. Il ne s’ensuit autre chose du discours de Philoxène, a-t-il dit, sinon que la matière est organisée ; mais si l’on peut démontrer que la matière, et peut-être même son arrangement sont éternels, que devient la déclamation de Philoxène ? pouvait-il ajouter.

49. — S’il n’y avait jamais eu d’être, il n’y en aurait jamais, continua gravement Oribaze, car pour se donner l’existence il faut agir, et pour agir il faut être.

50. S’il n’y avait jamais eu que des êtres matériels, il n’y aurait jamais eu d’êtres intelligents ; car ou les êtres intelligents se seraient donné l’existence, ou ils l’auraient reçue des êtres matériels ; s’ils s’étaient donné l’existence, ils auraient agi avant que d’exister ; s’ils l’avaient reçue de la matière, ils en seraient des effets, et dès lors je les verrais réduits à la qualité des modes, ce qui n’est point du tout le compte de Philoxène.

51. S’il n’y avait jamais eu que des êtres intelligents, il n’y aurait jamais eu d’êtres matériels, car toutes les facultés d’un esprit se réduisent à penser et à vouloir. Or, ne concevant nullement que la pensée et la volonté puissent agir sur les êtres créés, et moins encore sur le néant, je puis supposer qu’il n’en est rien, du moins jusqu’à ce que Philoxène m’ait démontré le contraire.

52. L’être intelligent, selon lui, n’est point un mode de l’être corporel. Selon moi, il n’y a aucune raison de croire que l’être corporel soit un effet de l’être intelligent. Il s’ensuit donc de son aveu et de mon raisonnement, que l’être intelligent et l’être corporel sont éternels, que ces deux substances composent l’univers, et que l’univers est Dieu.

53. Que Philoxène reprenne ce ton méprisant qui ne convient à personne, et moins encore à des philosophes, et s’écrie tant qu’il voudra : « Mais vous divinisez les papillons, les insectes, les mouches, les gouttes d’eau et toutes les molécules de la matière. » Je ne divinise rien, lui répondrai-je. Si vous m’entendez un peu, vous verrez, au contraire, que je travaille à bannir du monde la présomption, le mensonge et les dieux. »

54. Philoxène, qui ne s’attendait pas à cette sortie vigoureuse de la part d’un ennemi dont il avait fait peu de cas, en