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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/314

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tels que vous sont rares, et qu’on doit être soigneux de les conserver, quand on a eu le bonheur de les rencontrer ! Je vous dirai toutefois que vos sentiments ne me surprennent point. Je suis seulement enchantée de leur conformité avec les miens. Peut-être en serais-je un peu jalouse, si je ne savais que les vertus ne perdent rien à se multiplier ; et qu’elles gagnent à se communiquer dans des entretiens tels que le nôtre.

35. — C’est dans cette communication franche et naïve où les âmes bien nées se développent les unes aux autres, dit Criton, que consiste le délicieux de l’amitié qui n’est fait que pour elles. »

36. Je voudrais bien savoir ce que tu penses de ces gens-ci. Mais je m’aperçois que l’aventure de Phédime et d’Agénor t’a mis sur tes gardes. Tu te méfies des grands principes et tu as raison. Courage, ami, si je ne t’amuse pas, je vois au moins que tu profites.

37. Criton quittait à peine Bélise, que Damis arriva. C’était un jeune homme riche, d’une figure aimable, et à qui la main de Caliste était promise. « Vous savez, dit-il à Bélise, que la charmante Caliste doit faire dans deux jours mon bonheur. Tout est arrêté, ; il ne s’agit plus que des présents que je lui destine. Vous vous y connaissez ; oserais-je vous prier de m’accompagner chez la Frenaye ? Mon équipage est dans votre cour.

38. — Volontiers, répondit Bélise ; » ils montent en carrosse ; chemin faisant, Bélise donne d’abord de grands éloges à Caliste : « Ah ! si vous la connaissiez comme moi ! disait-elle à Damis ; c’est bien la meilleure petite créature du monde ; elle serait parfaite si… — Si elle était un peu moins vive, interrompit Damis… — Oh ! il y a mieux qu’un excès de vivacité, reprit Bélise ; mais n’a-t-on pas chacun son défaut : encore une fois, elle est fort aimable ; et l’inégalité de son caractère et ces bouffées d’humeur qui la prennent la plupart du temps à propos de rien, ne m’ont point empêchée d’être son amie depuis une dizaine d’années. Je lui ai passé toutes ces minuties ; mais j’aurais bien voulu lui ôter un certain air évaporé qui lui a fait tort ; car je l’aime de tout mon cœur.

39. — Qui lui a fait tort ! interrompit vivement Damis, et comment cela ?… — Eh mais ! reprit Bélise, c’est que cet air, qui n’est pas infiniment propre à faire respecter, a donné plus que des espérances à de petits faquins…