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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/318

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en conscience vos propos libertins. Le prince me voit, mon guide m’épie ; on a une réputation à ménager, un avenir à craindre, une robe à conserver sans tache ; éloignez-vous, de grâce, ou changez de discours.

57. — Mais, madame, lui répondis-je, il est étonnant qu’avec ces scrupules vous soyez sortie de l’allée des épines. Oserait-on vous demander ce que vous êtes venue faire dans celle-ci ? — Édifier et convertir, s’il est possible, me dit-elle en souriant, les méchants comme vous. » Elle aperçut en ce moment quelqu’un qui s’approchait ; elle reprit brusquement son air modeste et sérieux ; ses yeux se baissèrent ; elle se tut, me fit une révérence profonde, disparut et me laissa au milieu d’une troupe de jeunes folles qui riaient à gorge déployée, agaçaient les passants et faisaient des mines à tous les voyageurs.

58. Ce fut entre elles à qui m’aurait ; j’ai mal dit, à qui me tromperait. Je les suivis ; elles ne tardèrent point à me donner des espérances. « Voyez-vous bien cet arbre, me disait l’une ? eh bien, lorsque nous y serons… » En même temps elle en désignait un autre à un jeune homme qu’elle avait amené de fort loin. Arrivés à l’arbre qu’on m’avait indiqué, on me remit à un second ; de celui-ci à un troisième : enfin à un bosquet dont on me loua la commodité, et de ce bosquet à un autre qu’on me dit être plus commode. « Je pourrais bien, me dis-je alors en moi-même, d’arbre en arbre, et de bosquet en bosquet, suivre ces folles jusqu’à la garnison, sans avoir obtenu le moindre prix de ma peine. » En faisant cette réflexion, je les quittai brusquement, et m’adressai à une jeune beauté moins régulière encore que charmante. C’était une blonde, mais de ces blondes qu’un philosophe devrait éviter. À une taille fine et légère, elle joignait assez d’embonpoint. Je n’ai vu de ma vie de couleurs plus vives, une peau plus animée, ni de plus belles chairs. Sous une coiffure simple, couverte d’un chapeau de paille doublé de couleur de rose, ses yeux pétillants ne respiraient que les désirs. Son discours décelait un esprit orné ; elle aimait à raisonner : elle était même conséquente. La conversation fut à peine liée entre nous que nous tombâmes sur le chapitre des plaisirs : c’est la thèse universelle et la matière inépuisable du pays.

59. Je soutenais gravement que le prince nous les interdi-