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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/372

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façons de parler ordinaires, et leur font adopter des tours de phrases qui sont admirables toutes les fois qu’ils ne sont ni précieux ni obscurs ; défauts qu’on leur pardonne plus ou moins difficilement, selon qu’on a plus d’esprit soi-même, et moins de connaissance de la langue. Voilà pourquoi M. de M…[1] est de tous les auteurs français celui qui plaît le plus aux Anglais ; et Tacite, celui de tous les auteurs latins que les penseurs estiment davantage. Les licences de langage nous échappent, et la vérité des termes nous frappe seule.

Saunderson professa les mathématiques dans l’université de Cambridge avec un succès étonnant. Il donna des leçons d’optique ; il prononça des discours sur la nature de la lumière et des couleurs ; il expliqua la théorie de la vision ; il traita des effets des verres, des phénomènes de l’arc-en-ciel et de plusieurs autres matières relatives à la vue et à son organe.

Ces faits perdront beaucoup de leur merveilleux, si vous considérez, madame, qu’il y a trois choses à distinguer dans toute question mêlée de physique et de géométrie : le phénomène à expliquer, les suppositions du géomètre et le calcul qui résulte des suppositions. Or, il est évident que, quelle que soit la pénétration d’un aveugle, les phénomènes de la lumière et des couleurs lui sont inconnus. Il entendra les suppositions, parce qu’elles sont toutes relatives à des causes palpables, mais nullement la raison que le géomètre avait de les préférer à d’autres : car il faudrait qu’il pût comparer les suppositions mêmes avec les phénomènes. L’aveugle prend donc les suppositions pour ce qu’on les lui donne ; un rayon de lumière pour un fil élastique et mince, ou pour une suite de petits corps qui viennent frapper nos yeux avec une vitesse incroyable ; et il calcule en conséquence. Le passage de la physique à la géométrie est franchi, et la question devient purement mathématique.

Mais que devons-nous penser des résultats du calcul ? 1° Qu’il

  1. Naigeon, et après lui l’éditeur de 1818, ont mis au lieu des initiales M. de M… que portait l’édition originale, M. de Montesquieu. C’est une faute grave ; Diderot a lui-même désigné dans la table de l’édition de 1749 et de celle de 1751 M. de Marivaux. Ce qui a pu induire en erreur les précédents éditeurs qui n’avaient point consulté cette table, c’est que l’Esprit des lois avait paru en 1748. (Br.)