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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/392

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qui lui sont propres ; aux filets de la rétine, pour n’être ni trop ni trop peu sensibles à l’action de la lumière ; au cristallin, pour s’exercer aux mouvements en avant et en arrière qu’on lui soupçonne ; ou aux muscles, pour bien remplir leurs fonctions ; aux nerfs optiques, pour s’accoutumer à transmettre la sensation ; au globe entier de l’œil, pour se prêter à toutes les dispositions nécessaires, et à toutes les parties qui le composent, pour concourir à l’exécution de cette miniature dont on tire si bon parti, quand il s’agit de démontrer que l’œil s’expérimentera de lui-même.

J’avoue que, quelque simple que soit le tableau que je viens de présenter à l’œil d’un aveugle-né, il n’en distinguera bien les parties que quand l’organe réunira toutes les conditions précédentes ; mais c’est peut-être l’ouvrage d’un moment ; et il ne serait pas difficile, en appliquant le raisonnement qu’on vient de m’objecter à une machine un peu composée, à une montre, par exemple, de démontrer, par le détail de tous les mouvements qui se passent dans le tambour, la fusée, les roues, les palettes, le balancier, etc., qu’il faudra quinze jours à l’aiguille pour parcourir l’espace d’une seconde. Si on répond que ces mouvements sont simultanés, je répliquerai qu’il en est peut-être de même de ceux qui se passent dans l’œil, quand il s’ouvre pour la première fois, et de la plupart des jugements qui se font en conséquence. Quoi qu’il en soit de ces conditions qu’on exige dans l’œil pour être propre à la vision, il faut convenir que ce n’est point le toucher qui les lui donne, que cet organe les acquiert de lui-même ; et que, par conséquent, il parviendra à distinguer les figures qui s’y peindront, sans le secours d’un autre sens.

Mais encore une fois, dira-t-on, quand en sera-t-il là ? Peut-être beaucoup plus promptement qu’on ne pense. Lorsque nous allâmes visiter ensemble le cabinet du Jardin Royal, vous souvenez-vous, madame, de l’expérience du miroir concave, et de la frayeur que vous eûtes lorsque vous vîtes venir à vous la pointe d’une épée avec la même vitesse que la pointe de celle que vous aviez à la main s’avançait vers la surface du miroir ? Cependant vous aviez l’habitude de rapporter au delà des miroirs tous les objets qui s’y peignent. L’expérience n’est donc ni si nécessaire, ni même si infaillible qu’on le pense, pour apercevoir