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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/41

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et qu’il reviendrait muni de ses papiers de famille et du consentement de ses parents. Il fut en effet chez lui. La longueur de son absence ne l’avait rendu que plus cher à son père ; il se persuada aisément que son fils revenait avec le dessein de s’établir dans sa patrie, et de mener à côté de lui une vie simple et paisible ; l’on peut donc juger de la manière dont son projet de mariage fut agréé. On le traita comme un fou, et on lui ordonna, sous peine de la malédiction paternelle, de renoncer à cette extravagance. Il ne dit mot, repartit un matin, revint à Paris, et exposa à ma mère le succès de sa négociation, avec toutes les restrictions qu’il crut honnêtes pour elle et utiles à son projet. Mme Champion prit son parti ; elle assura bien positivement mon père qu’elle n’entrerait jamais dans une famille qui ne la verrait pas de bon œil ; elle le pria de s’éloigner, et cessa, malgré toutes ses persécutions, de le recevoir. Mais tout cela était beaucoup trop courageux pour être de longue durée. Mon père tomba malade ; ma mère ne put le savoir souffrant et rester en paix ; elle envoya un officieux savoir de ses nouvelles. On lui dit que sa chambre était un vrai chenil, qu’il était sans bouillon, sans soins, maigre, triste ; alors elle prit son parti, monta chez lui, promit d’épouser ; et la mère et la fille devinrent ses gardes-malades. Aussitôt qu’il put sortir, ils furent à Saint-Pierre, et mariés à minuit (1744)[1].

  1. On peut consulter le Dictionnaire critique, de M. Jal, article Diderot, sur la famille de Mme Diderot et sur Mme Diderot elle-même. Il avait relevé l’acte de mariage muni des signatures des deux époux : « Denis Diderot, bourgeois de Paris, fils majeur de Didier Diderot, maître coutelier, et d’Angélique Vigneron, » et « Anne-Toinette Champion, » ainsi que de celles de la mère, Marie de Malville, et des deux ecclésiastiques présents, le vicaire de Saint-Pierre-aux-Bœufs, Jacques Bosson, et un ancien chanoine de Dôle, Jean-Baptiste Guillot. » Il avait même précisé la date, 6 novembre 1743. Mais M. Jal n’était point un ami de Diderot ; sa notice était donc faite dans un parfait esprit de dénigrement, lorsqu’il apprit par hasard, vers 1872, qu’on avait publié en 1830 « un petit écrit de Mme de Vanduel (sic) destiné à faire connaître son père mieux que ne l’avaient connu ses biographes. » Il transporta dès lors une partie de sa mauvaise humeur du père à la fille. Cette préoccupation ne lui a pas permis de lire celle-ci avec beaucoup d’attention. Nous avons déjà vu dans la Notice placée en tête de cet écrit, qu’il suppose qu’il est l’œuvre de Mme de Vandeul, âgée de soixante-dix ans. Mais il chercha à cette dame une autre querelle : il l’accuse d’avoir dit que, lorsque son père connut sa mère, celle-ci avait seize ans, et il triomphe en montrant qu’elle en avait trente-deux lors du mariage. Si l’on veut bien relire tout ce passage, on y verra que Mme de Vandeul dit seulement que sa mère avait seize ans lorsqu’elle sortit du couvent, qu’elle vécut ensuite avec Marie de Malville, paisible et heureuse pendant dix ou douze ans avant de connaître Diderot, connaissance qui ne se termina par le mariage que trois ou quatre ans plus tard. M. Jal était assez ordinairement