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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/434

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naison de son long silence, et qui le contraignait à dire : Diuturni silentii, et non pas Diuturnum silentium.

Ce que je viens de dire de l’inversion du commencement de l’oraison pour Marcellus, est applicable à toute autre inversion. En général, dans une période grecque ou latine, quelque longue qu’elle soit, on s’aperçoit, dès le commencement, que, l’auteur ayant eu une raison d’employer telle ou telle terminaison plutôt que toute autre, il n’y avait point dans ses idées l’inversion qui règne dans ses termes. En effet, dans la période précédente, qu’est-ce qui déterminait Cicéron à écrire Diuturni silentii au génitif, quo à l’ablatif, eram à l’imparfait, et ainsi du reste, qu’un ordre d’idées, préexistant dans son esprit, tout contraire à celui des expressions : ordre auquel il se conformait sans s’en apercevoir, subjugué par la longue habitude de transposer ? Et pourquoi Cicéron n’aurait-il pas transposé sans s’en apercevoir, puisque la chose nous arrive à nous-mêmes, à nous qui croyons avoir formé notre langue sur la suite naturelle des idées ? J’ai donc eu raison de distinguer l’ordre naturel des idées et des signes, de l’ordre scientifique et d’institution.

Vous avez pourtant cru, monsieur, devoir soutenir que, dans la période de Cicéron dont il s’agit entre nous, il n’y avait point d’inversion ; et je ne disconviens pas qu’à certains égards, vous ne puissiez avoir raison ; mais il faut, pour s’en convaincre, faire deux réflexions qui, ce me semble, vous ont échappé. La première, c’est que l’inversion proprement dite, ou l’ordre d’institution, l’ordre scientifique et grammatical, n’étant autre chose qu’un ordre dans les mots contraire à celui des idées, ce qui sera inversion pour l’un, souvent ne le sera pas pour l’autre : car, dans une suite d’idées, il n’arrive pas toujours que tout le monde soit également affecté par la même. Par exemple, si de ces deux idées contenues dans la phrase serpentem fuge je vous demande quelle est la principale, vous me direz, vous, que c’est le serpent ; mais un autre prétendra que c’est la fuite ; et vous aurez tous deux raison. L’homme peureux ne songe qu’au serpent ; mais celui qui craint moins le serpent que ma perte, ne songe qu’à ma fuite : l’un s’effraie, et l’autre m’avertit. La seconde chose que j’ai à remarquer, c’est que, dans une suite d’idées que nous avons à offrir aux autres, toutes les fois que l’idée principale qui doit les affecter n’est pas la même que celle