Aller au contenu

Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/265

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voix enfantine : Papa, je veux faire dodo ? Pour un seul homme, il y a cent femmes capables de cette force et de cette présence d’esprit. C’est cette même femme, ou une de ses compagnes, qui disait au jeune Dudoyer, qu’elle regardait tendrement, tandis qu’avec une tenaille il arrachait les clous qui lui traversaient les deux pieds : Le dieu de qui nous tenons le don des prodiges ne nous a pas toujours accordé celui de la sainteté[1]. Mme de Staal est mise à la Bastille avec la duchesse du Maine, sa maîtresse[2] ; la première s’aperçoit que Mme du Maine a tout avoué. À l’instant elle pleure, elle se roule à terre, elle s’écrie : Ah ! ma pauvre maîtresse est devenue folle ! N’attendez rien de pareil d’un homme. La femme porte au dedans d’elle-même un organe susceptible de spasmes terribles, disposant d’elle, et suscitant dans son imagination des fantômes de toute espèce. C’est dans le délire hystérique qu’elle revient sur le passé, qu’elle s’élance dans l’avenir, que tous les temps lui sont présents. C’est de l’organe propre à son sexe que partent toutes ses idées extraordinaires. La femme, hystérique dans la jeunesse, se fait dévote dans l’âge avancé ; la femme à qui il reste quelque énergie dans l’âge avancé, était hystérique dans sa jeunesse. Sa tête parle encore le langage de ses sens lorsqu’ils sont muets. Rien de plus contigu que l’extase, la vision, la prophétie, la révélation, la poésie fougueuse et l’hystérisme. Lorsque la Prussienne Karsch[3] lève son œil vers le ciel enflammé d’éclairs, elle voit Dieu dans le nuage ; elle le voit qui secoue d’un pan de sa robe noire des foudres qui vont chercher la tête de l’impie ; elle voit la tête de l’impie. Cependant la recluse dans sa cellule se sent élever dans les airs ; son âme se répand dans le sein de la Divinité ; son essence se mêle à l’essence divine ; elle se pâme ; elle se meurt ; sa poitrine s’élève et s’abaisse avec rapidité ; ses compagnes, attroupées autour d’elle,

  1. Du Doyer de Gastel, à la suite de La Condamine, rend compte, dans la même Correspondance de Grimm, du Miracle du jour de la Saint-Jean, 1759 ; c’est la sœur Françoise qui est l’héroïne de cette scène d’exaltation où les secours, comme on appelait ces tortures, sont des coups de hache, des coups d’épée, et finalement l’incendie du lit et de la robe de la patiente. Françoise était une fille de cinquante-huit ans, ce n’est pas elle qui fit au jeune Du Doyer l’étrange aveu rapporté par Diderot.
  2. À l’occasion de la conjuration du prince de Cellamare. (Br.)
  3. Il y a eu une improvisatrice prussienne de ce nom, mais plus connue sous celui de Karschin.