Aller au contenu

Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ce qui est faux ne peut être utile aux hommes, ce qui leur nuit constamment ne peut être fondé sur la vérité et doit être proscrit à jamais. C’est donc servir l’esprit humain et travailler pour lui que de lui présenter le fil secourable à l’aide duquel il peut se tirer du labyrinthe où l’imagination le promène et le fait errer sans trouver aucune issue à ses incertitudes. La nature seule, connue par l’expérience, lui donnera ce fil et lui fournira les moyens de combattre les Minotaures, les fantômes et les monstres qui depuis tant de siècles exigent un tribut cruel des mortels effrayés. En tenant ce fil dans leurs mains, ils ne s’égareront jamais ; pour peu qu’ils s’en dessaisissent un instant, ils retomberont infailliblement dans leurs anciens égarements. Vainement porteraient-ils leurs regards vers le ciel pour trouver des ressources qui sont à leurs pieds : tant que les hommes, entêtés de leurs opinions religieuses, iront chercher dans un monde imaginaire les principes de leur conduite ici-bas, ils n’auront point de principes ; tant qu’ils s’obstineront à contempler les cieux, ils marcheront à tâtons sur la terre, et leurs pas incertains ne rencontreront jamais le bien-être, la sûreté, le repos nécessaires à leur bonheur.

Mais les hommes, que leurs préjugés rendent obstinés à se nuire, sont en garde contre ceux mêmes qui veulent leur procurer les plus grands biens. Accoutumés à être trompés, ils sont dans des soupçons continuels ; habitués à se défier d’eux-mêmes, à craindre la raison, à regarder la vérité comme dangereuse, ils traitent comme des ennemis ceux mêmes qui veulent les rassurer ; prémunis de bonne heure par l’imposture, ils se croient obligés de défendre soigneusement le bandeau dont elle couvre leurs yeux et de lutter contre tous ceux qui tenteraient de l’arracher. Si leurs yeux accoutumés aux ténèbres s’entr’ouvrent un instant, la lumière les blesse, et ils s’élancent avec furie sur celui qui leur présente un flambeau dont ils sont éblouis. En conséquence, l’athée est regardé comme un être malfaisant, comme un empoisonneur public ; celui qui ose réveiller les mortels d’un sommeil léthargique où l’habitude les a plongés passe pour un perturbateur ; celui qui voudrait calmer leurs transports frénétiques passe pour un frénétique lui-même ; celui qui invite ses associés à briser leurs fers ne paraît qu’un insensé ou un téméraire à des captifs qui croient que leur nature ne