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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/177

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lendemain et de plusieurs autres jours : c’était un texte inépuisable. Aux faits véritables on en ajoutait de faux ; tout passait : le prodige avait rendu tout croyable. On vécut dans les conversations plus de six mois là-dessus.

Le sultan n’avait éprouvé que trois fois son anneau ; cependant on débita dans un cercle de dames qui avaient le tabouret chez la Manimonbanda, le discours du bijou d’une présidente, puis celui d’une marquise : ensuite on révéla les pieux secrets d’une dévote ; enfin ceux de bien des femmes qui n’étaient pas là ; et Dieu sait les propos qu’on fit tenir à leurs bijoux : les gravelures n’y furent pas épargnées ; des faits on en vint aux réflexions.

« Il faut avouer, dit une des dames, que ce sortilège (car c’en est un jeté sur les bijoux) nous tient dans un état cruel. Comment ! être toujours en appréhension d’entendre sortir de soi une voix impertinente !

— Mais, madame, lui répondit une autre, cette frayeur nous étonne de votre part : quand un bijou n’a rien de ridicule à dire, qu’importe qu’il se taise ou qu’il parle ?

— Il importe tant, reprit la première, que je donnerais sans regret la moitié de mes pierreries pour être assurée que le mien se taira.

— En vérité, lui répliqua la seconde, il faut avoir de bonnes raisons de ménager les gens, pour acheter si cher leur discrétion.

— Je n’en ai pas de meilleures qu’une autre, repartit Céphise ; cependant je ne m’en dédis pas. Vingt mille écus pour être tranquille, ce n’est pas trop ; car je vous dirai franchement que je ne suis pas plus sûre de mon bijou que de ma bouche : or il m’est échappé bien des sottises en ma vie. J’entends tous les jours tant d’aventures incroyables dévoilées, attestées, détaillées par des bijoux, qu’en en retranchant les trois quarts, le reste suffirait pour déshonorer. Si le mien était seulement la moitié aussi menteur que tous ceux-là, je serais perdue. N’était-ce donc pas assez que notre conduite fût en la puissance de nos bijoux, sans que notre réputation dépendît encore de leurs discours ?

— Quant à moi, répondit vivement Ismène, sans m’embarquer dans des raisonnements sans fin, je laisse aller les choses leur train. Si c’est Brama qui fait parler les bijoux, comme mon bramine me l’a prouvé, il ne souffrira point qu’ils men-