Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/271

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Un autre dissimulait, par respect pour le sexe, les suites d’une conversation fort vive qu’il avait eue sous le masque avec elle, dans un bal où il l’avait accrochée. Celui-ci faisait l’éloge de son esprit et de ses charmes, et le terminait en montrant son portrait, qu’à l’en croire il tenait de la meilleure main. « Ce portrait, disait celui-là, est plus ressemblant que celui dont elle a fait présent à Jénaki. »

Ces discours passèrent jusqu’à son époux. Célébi aimait sa femme, mais décemment toutefois, et sans que personne en eût le moindre soupçon ; il se refusa d’abord aux premiers rapports ; mais on revint à la charge, et de tant de côtés, qu’il crut ses amis plus clairvoyants que lui : plus il avait accordé de liberté à Églé, plus il eut de soupçon qu’elle en avait abusé. La jalousie s’empara de son âme. Il commença par gêner sa femme. Églé souffrit d’autant plus impatiemment ce changement de procédé qu’elle se sentait innocente. Sa vivacité et les conseils de ses bonnes amies la précipitèrent dans des démarches inconsidérées qui mirent toutes les apparences contre elle et qui pensèrent lui coûter la vie. Le violent Célébi roula quelque temps dans sa tête mille projets de vengeance, et le fer, et le poison, et le lacet fatal, et se détermina pour un supplice plus lent et plus cruel, une retraite dans ses terres. C’est une mort véritable pour une femme de cour. En un mot, les ordres sont donnés ; un soir Églé apprend son sort : on est insensible à ses larmes ; on n’écoute plus ses raisons ; et la voilà reléguée à quatre-vingts lieues de Banza, dans un vieux château, où on ne lui laisse pour toute compagnie que deux femmes et quatre eunuques noirs qui la gardent à vue.

À peine fut-elle partie, qu’elle fut innocente. Les petits-maîtres oublièrent ses aventures, les femmes lui pardonnèrent son esprit et ses charmes, et tout le monde la plaignit. Mangogul apprit, de la bouche même de Célébi, les motifs de la terrible résolution qu’il avait prise contre sa femme, et parut seul l’approuver.

Il y avait près de six mois que la malheureuse Églé gémissait dans son exil, lorsque l’aventure de Kersael arriva. Mirzoza souhaitait qu’elle fût innocente, mais elle n’osait s’en flatter. Cependant elle dit un jour au sultan : « Votre anneau, qui vient de conserver la vie à Kersael, ne pourrait-il pas finir l’exil