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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/275

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discours, vrais ou faux, que je tiens des femmes, à moins qu’il ne vous plaise de représenter le sexe en général…

— Je ne le conseillerais pas à madame, ajouta Sélim, qui était présent à cette conversation. Elle n’y pourrait gagner que des défauts.

— Je ne reçois point, répondit Mirzoza, les compliments que l’on m’adresse aux dépens de mes semblables. Quand on s’avise de me louer, je voudrais qu’il n’en coûtât rien à personne. La plupart des galanteries qu’on nous débite ressemblent aux fêtes somptueuses que Votre Hautesse reçoit de ses pachas : ce n’est jamais qu’à la charge du public.

— Laissons cela, dit Mangogul. Mais en bonne foi, n’êtes-vous pas convaincue que la vertu des femmes du Congo n’est qu’une chimère ? Voyez donc, délices de mon âme, quelle est aujourd’hui l’éducation à la mode, quels exemples les jeunes personnes reçoivent de leurs mères, et comment on vous coiffe une jolie femme du préjugé que de se renfermer dans son domestique, régler sa maison et s’en tenir à son époux, c’est mener une vie lugubre, périr d’ennui et s’enterrer toute vive. Et puis, nous sommes si entreprenants, nous autres hommes, et une jeune enfant sans expérience est si comblée de se voir entreprise. J’ai prétendu que les femmes sages étaient rares, excessivement rares ; et loin de m’en dédire, j’ajouterais volontiers qu’il est surprenant qu’elles ne le soient pas davantage. Demandez à Sélim ce qu’il en pense.

— Prince, répondit Mirzoza, Sélim doit trop à notre sexe pour le déchirer impitoyablement.

— Madame dit Sélim, Sa Hautesse, à qui il n’a pas été possible de rencontrer des cruelles, doit naturellement penser des femmes comme elle fait ; et vous, qui avez la bonté de juger des autres par vous-même, n’en pouvez guère avoir d’autres idées que celles que vous défendez. J’avouerai cependant que je ne suis pas éloigné de croire qu’il y a des femmes de jugement à qui les avantages de la vertu sont connus par expérience, et que la réflexion a éclairées sur les suites fâcheuses du désordre ; des femmes heureusement nées, bien élevées, qui ont appris à sentir leur devoir, qui l’aiment, et qui ne s’en écarteront jamais.

— Et sans se perdre en raisonnements, ajouta la favorite, Églé, vive, aimable, charmante, n’est-elle pas en même temps