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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/32

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SUR LA
DIVERSITÉ DE NOS JUGEMENTS


(inédit.)




Plus on médite un sujet, plus il s’étend ; on trouve que c’est l’histoire de tout ce qu’on a dans la tête et de tout ce qui y manque : et cela sert d’autant mieux que les idées et les connaissances y sont plus liées ; il part tant de branches, et ces branches vont s’entrelacer à tant d’autres qui appartiennent à des sciences et à des arts divers, qu’il semble que pour parler pertinemment d’une aiguille, il faudrait posséder la science universelle. Qu’est-ce que c’est qu’une bonne aiguille ? Dieu le sait. Le découragement et le dégoût nous prennent, et dans l’impossibilité de tout dire, car il faudrait tout savoir, on se tait ; parti dont la paresse naturelle s’accommode fort bien.

C’est encore une liaison du moindre objet avec une infinité d’autres qui jette le désordre dans la conversation et rend les disputes interminables et presque inutiles. On passe de l’ouvrier à l’art, de l’art à l’ouvrage, de l’ouvrage à ses formes, des formes aux manœuvres, des manœuvres à la matière, et quand on en est là, le champ est si vaste qu’on peut se tenir pour perdu. Il n’y a rien ni dans la nature, ni dans l’entendement où l’on ne puisse être poussé par un antagoniste ignorant ou pointilleux qui veut être satisfait sur tout. À la fin on est si bien fourvoyé, qu’on aurait peine à revenir sur ses pas, et à retrouver la première question. J’en vois tous les jours des exemples. Le vice s’accroît bien davantage par l’amour-propre qui s’accroche à tout, par la mauvaise foi qui vous donne le change, et quelquefois par un persiflage cruel qui s’amuse aux dépens de votre tête et de vos poumons. Je connais un de ces discuteurs dont je suis toujours la dupe. Ses paradoxes sont si piquants ; il les défend