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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/357

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et le contraignis à me devoir la vie. Pendant qu’il guérissait de ses blessures, je ne quittai pas un moment sa femme ; mais le premier usage qu’il fit de sa santé, fut de nous séparer et de maltraiter Cydalise. Elle me peignit toute la tristesse de sa situation ; je lui proposai de l’enlever ; elle y consentit ; et notre jaloux de retour de la chasse où il avait accompagné le sultan, fut très étonné de se trouver veuf. Ostaluk, sans s’exhaler en plaintes inutiles contre l’auteur du rapt, médita sur-le-champ sa vengeance.

« J’avais caché Cydalise dans une maison de campagne, à deux lieues de Banza ; et de deux nuits l’une, je me dérobais de la ville pour aller à Cisare. Cependant Ostaluk mit à prix la tête de son infidèle, corrompit mes domestiques à prix d’argent, et fut introduit dans mon parc. Ce soir j’y prenais le frais avec Cydalise : nous nous étions enfoncés dans une allée sombre ; et j’allais lui prodiguer mes plus tendres caresses, lorsqu’une main invisible lui perça le sein d’un poignard à mes yeux. C’était celle du cruel Ostaluk. Le même sort me menaçait ; mais je prévins Ostaluk ; je tirai ma dague, et Cydalise fut vengée. Je me précipitai sur cette chère femme : son cœur palpitait encore ; je me hâtai de la transporter à la maison, mais elle expira avant que d’y arriver, la bouche collée sur la mienne.

« Lorsque je sentis les membres de Cydalise se refroidir entre mes bras, je poussai les cris les plus aigus ; mes gens accoururent, et m’arrachèrent de ces lieux pleins d’horreur. Je revins à Banza, et je me renfermai dans mon palais, désespéré de la mort de Cydalise, et m’accablant des plus cruels reproches. J’aimais vraiment Cydalise ; j’en étais fortement aimé ; et j’eus tout le temps de concevoir la grandeur de la perte que j’avais faite, et de la pleurer.

— Mais enfin, reprit la favorite, vous vous consolâtes ?

— Hélas ! madame, répondit Sélim, longtemps je crus que je ne m’en consolerais jamais ; et j’appris seulement alors qu’il n’y a point de douleurs éternelles.

— Qu’on ne me parle plus des hommes, dit Mirzoza ; les voilà tous. C’est-à-dire, seigneur Sélim, que cette pauvre Cydalise, dont l’histoire vient de nous attendrir, et que vous avez tant regrettée, fut bien sotte de compter sur vos serments ; et que, tandis que Brama la châtie peut-être rigoureusement de sa cré-