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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/470

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saint-alban.

Eh bien, lorsqu’on l’aura trouvée, on aura la consolation de savoir qu’elle existe. Cela est-il comparable à la douleur de la voir presque toujours persécutée ?

la marquise.

Ne mérite-t-elle pas bien qu’on vive pour la défendre ? Mais il y a plus que cela : c’est que ce dégoût de la vie est faux, et n’existe que dans une tête dérangée ou mal organisée. Encore n’est-il que momentané.

saint-alban.

Je ne sais pas cela. Il est dans la nature de naître, de s’accroître, de se multiplier, de se détruire par degrés. Pourquoi n’éprouverait-on pas le désir et le besoin de sa fin comme tous les autres ?

la marquise.

Cette opération de la nature est la plus pénible de toutes. Elle est accompagnée d’angoisses et d’efforts violents qui la font redouter. Tout ce qu’on peut faire est de s’y soumettre, et non d’en hâter le moment. L’amour de la vie est dans tous les cœurs, et en cela on ne saurait trop admirer l’adresse de la nature.

saint-alban.

Il est certain qu’elle n’avait pas d’autre moyen de conserver son ouvrage qu’en lui imprimant le désir de sa conservation.

la marquise.

Aussi a-t-elle rendu ce désir invincible. Tenez ; voyez un malheureux condamné à une prison perpétuelle : du matin au soir il n’a devant les yeux que les quatre murs et ses remords. Au bout d’un mois sa vie doit lui paraître écrite autour des murailles qui l’enferment. Quelle situation ! Cependant ces murs sont autour de lui, il a la faculté de mouvoir sa tête, et il ne tente pas de terminer son sort. Voilà le seul cas où il serait permis, ce semble, d’appeler la mort à son secours ; et si l’on craint moins les tourments des remords que d’en voir la fin, nous en pouvons conclure que l’amour de la vie est profondément gravé dans le cœur de l’homme, et que monsieur de Saint-Alban ne se noiera pas encore aujourd’hui.