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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/143

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— Chère mère, lui dis-je, qu’avez-vous ? Est-ce que vous vous trouvez mal ? Que faut-il que je fasse ?

— Je tremble, me dit-elle, je frissonne ; un froid mortel s’est répandu sur moi.

— Voulez-vous que je me lève et que je vous cède mon lit ?

— Non, me dit-elle, il ne serait pas nécessaire que vous vous levassiez ; écartez seulement un peu la couverture, que je m’approche de vous ; que je me réchauffe, et que je guérisse.

— Chère mère, lui dis-je, mais cela est défendu. Que dirait-on si on le savait ? J’ai vu mettre en pénitence des religieuses, pour des choses beaucoup moins graves. Il arriva dans le couvent de Sainte-Marie à une religieuse d’aller la nuit dans la cellule d’une autre, c’était sa bonne amie, et je ne saurais vous dire tout le mal qu’on en pensait. Le directeur m’a demandé quelquefois si l’on ne m’avait jamais proposé de venir dormir à côté de moi, et il m’a sérieusement recommandé de ne le pas souffrir. Je lui ai même parlé des caresses que vous me faisiez ; je les trouve très-innocentes, mais lui, il ne pense point ainsi ; je ne sais comment j’ai oublié ses conseils ; je m’étais bien proposé de vous en parler.

— Chère amie, me dit-elle, tout dort autour de nous, personne n’en saura rien. C’est moi qui récompense ou qui punis ; et quoi qu’en dise le directeur, je ne vois pas quel mal il y a à une amie, à recevoir à côté d’elle une amie que l’inquiétude a saisie, qui s’est éveillée, et qui est venue, pendant la nuit et malgré la rigueur de la saison, voir si sa bien-aimée n’était dans aucun péril. Suzanne, n’avez-vous jamais partagé le même lit chez vos parents avec une de vos sœurs ?

— Non, jamais.

— Si l’occasion s’en était présentée, ne l’auriez-vous pas fait sans scrupule ? Si votre sœur, alarmée et transie de froid, était venue vous demander place à côté de vous, l’auriez-vous refusée ?

— Je crois que non.

— Et ne suis-je pas votre chère mère ?

— Oui, vous l’êtes ; mais cela est défendu.

— Chère amie, c’est moi qui le défends aux autres, et qui vous le permets et vous le demande. Que je me réchauffe un