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NOTICE PRÉLIMINAIRE.

en fait un éloge dithyrambique. « M. Diderot, dit-il, n’a qu’à continuer à travailler en ce genre pour être le maître absolu du théâtre. » Cet enthousiasme était sincère, si nous nous en rapportons à Mme d’Épinay, mais en même temps la critique demandait à placer son mot. Ce fut surtout Palissot son porte-parole, et, dans ses Petites Lettres sur de grands philosophes, il consacra une étude fort étendue à la pièce où il n’y a, selon lui, ni invention, ni caractères, ni style, ni rien de ce qui caractérise un ouvrage dramatique.

Lessing a pris la peine de répondre à quelques-unes des remarques de Palissot dans sa Dramaturgie. Il ne donne pas en tout raison à Diderot. « Sans doute, dit-il, le Fils naturel prêtait à la critique par plus d’un endroit. Ce premier essai est encore bien loin du Père de famille. Il y a trop d’uniformité et en même temps quelque chose de romanesque dans les caractères ; le dialogue est guindé et précieux, avec un cliquetis pédantesque de sentences philosophiques à la nouvelle mode. [Cependant] les observations de Palissot ne sont ni tout à fait vraies ni tout à fait fausses. Il voit assez bien l’anneau qu’il veut traverser de sa lance ; mais, dans l’ardeur de l’élan, sa lance se détourne et ne fait que friser l’anneau. » Et Lessing, qui traduisit lui-même les Dialogues qui suivent le Fils naturel, et en tira sa propre poétique dramatique, ajoute : « Je sais bien que, sans les exemples et les leçons de Diderot, mon goût aurait pris une tout autre direction. »

Une pièce de théâtre ne peut être bien définitivement jugée que lorsqu’elle a subi l’épreuve de la représentation. Le Fils naturel fut longtemps, avec le Père de famille promis par l’auteur et qui suivit de près, un sujet de discussion dans les journaux avant d’obtenir cette consécration. Ce ne fut qu’en 1771, le 26 septembre, que le Théâtre-Français se décida à faire une tentative, sur les instances de Molé, mais avec toute la mauvaise volonté possible de la part des autres acteurs. Il n’y eut qu’une représentation ; Diderot retira sa pièce, et nous croyons intéresser le lecteur en lui donnant ici quelques-unes des appréciations contradictoires qui en furent faites alors.

Par Grimm, d’abord.

« Le Fils naturel a été donné sans empressement, mais sans opposition de la part de M. Diderot. Il a laissé les comédiens absolument les maîtres de son ouvrage et ne leur a pas caché que, suivant son opinion, cette pièce ne devait pas réussir à la représentation.

« Sans avoir eu un succès très-décidé, elle en a eu beaucoup pour une pièce dénuée de toutes ces pompeuses absurdités qui entraînent, sans savoir pourquoi, les applaudissements de la multitude. Tous les endroits fortement marqués, tout ce qui fait tableau, tout ce qui est maxime a été très-applaudi. Tous les mots de nature, de passion, enfin