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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/186

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mon introducteur l’avait jeté. Il ne peut pas cependant se refuser à la politesse et aux égards de la société.

« On parle de choses et d’autres ; la conversation tombe sur les ouvrages dramatiques. M. Diderot a la bonne foi de me dire que quelques-unes de mes pièces lui avaient causé beaucoup de chagrin ; j’ai le courage de lui répondre que je m’en étais aperçu. « Vous savez, monsieur, me dit-il, ce que c’est qu’un homme blessé dans la partie la plus délicate. — Oui, monsieur, lui dis-je, je le sais ; je vous entends, mais je n’ai rien à me reprocher. — Allons, allons, dit M. Duni, en nous interrompant, ce sont des tracasseries littéraires qui ne doivent point tirer à conséquence ; suivez l’un et l’autre le conseil du Tasse :

Ogni trista memoria ornai si taccia ;
E pongansi in obblio le andate cose
[1].

« M. Diderot, qui entendait assez l’italien, semble souscrire de bonne grâce à l’avis du poëte italien : nous finissons notre entretien par des honnêtetés, par des amitiés réciproques, et nous partons, M. Duni et moi, très-contents l’un de l’autre. » (Mémoires de Goldoni, 1787, troisième partie, ch. v.)

Passons maintenant aux Mémoires secrets. Remarquons d’abord qu’ici encore les dates ne sont point concordantes. C’est seulement en 1764 que les Mémoires enregistrent les bruits suivants :

« 4 octobre. — Nous tenons de la bouche de M. Goldoni que, malgré toutes les démarches que lui et ses amis ont faites pour le faire rencontrer avec M. Diderot, celui-ci a toujours éludé. En vain MM. Marmontel et Damilaville, intimement liés avec ce dernier, ont-ils promis de lever les difficultés, il paraît que tous deux ont échoué dans leur négociation. Il ne sait à quoi attribuer une antipathie aussi forte ; il déclare qu’il n’y a que le premier acte du Fils naturel qui soit semblable au sien ; il regarde le Père de famille comme tout à fait opposé à celui qui est dans ses œuvres ; enfin il parle de ce philosophe avec un respect, une estime, des sentiments bien différents de ceux que l’autre a témoignés dans ses répliques aux reproches qu’on lui faisait d’avoir pillé l’italien. »

« 22 mars 1765. — Goldoni vient de donner un nouveau volume de ses œuvres qui fait le septième. On y lit le Père de famille et le Véritable Ami, ces deux pièces qui ont occasionné l’accusation de plagiat intentée par Fréron contre M. Diderot et l’antipathie que ce dernier a conçue contre cet auteur italien, qui ne savait rien de ce qui se passait à cet égard. M. Goldoni fait, dans une préface, le détail de tout ce que nous avons dit là-dessus, et se venge avec autant de noblesse que de

  1. « Qu’on ne rappelle pas des souvenirs fâcheux et que tout ce qui s’est passé soit enseveli dans l’oubli. »