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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/207

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Saint-Albin, revenant et s’adressant à son père.

Elle pleure, elle soupire, elle songe à s’éloigner ; et si elle s’éloigne, je suis perdu.

Le père de famille.

Qui, elle ?

Saint-Albin.

Sophie… Non, Sophie, non… je périrai plutôt.

Le père de famille.

Qui est cette Sophie ?… Qu’a-t-elle de commun avec l’état où je te vois, et l’effroi qu’il me cause ?

Saint-Albin, en se jetant aux pieds de son père.

Mon père, vous me voyez à vos pieds ; votre fils n’est pas indigne de vous. Mais il va périr ; il va perdre celle qu’il chérit au delà de la vie ; vous seul pouvez la lui conserver. Écoutez-moi, pardonnez-moi, secourez-moi.

Le père de famille.

Parle, cruel enfant ; aie pitié du mal que j’endure.

Saint-Albin, toujours à genoux.

Si j’ai jamais éprouvé votre bonté ; si dès mon enfance j’ai pu vous regarder comme l’ami le plus tendre ; si vous fûtes le confident de toutes mes joies et de toutes mes peines, ne m’abandonnez pas ; conservez-moi Sophie ; que je vous doive ce que j’ai de plus cher au monde. Protégez-la… elle va nous quitter, rien n’est plus certain… Voyez-la, détournez-la de son projet… la vie de votre fils en dépend… Si vous la voyez, je serai le plus heureux de tous les enfants, et vous serez le plus heureux de tous les pères.

Le père de famille, à part.

Dans quel égarement il est tombé ! (à son fils :) Qui est-elle, cette Sophie, qui est-elle ?

Saint-Albin, relevé, allant et venant avec enthousiasme.

Elle est pauvre, elle est ignorée ; elle habite un réduit obscur. Mais c’est un ange, c’est un ange ; et ce réduit est le ciel. Je n’en descendis jamais sans être meilleur. Je ne vois rien dans ma vie dissipée et tumultueuse à comparer aux heures innocentes que j’y ai passées. J’y voudrais vivre et mourir,