Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/26

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
OBSERVATIONS SUR LE FILS NATUREL.

Si ces adversaires ont mérité ces quatre reproches si désagréables à faire, et si durs à entendre, et s’il n’est plus possible de douter qu’ils ne les méritent, à présent que le Véritable Ami est traduit en notre langue et imprimé[1], qu’on en peut faire la comparaison avec le Fils naturel, et qu’il n’y a plus moyen d’abuser le public, toujours porté à croire le mal, de quelle confusion ces hommes ne seront-ils pas couverts, si l’on se donne la peine de comparer les deux pièces ?

Mais quand M. Diderot aurait à M. Goldoni quelque obligation réelle, que s’ensuivrait-il de là ? Y a-t-il pour lui d’autres lois que pour tous les auteurs qui ont écrit avant lui ? Plaute n’avait-il pas imité les poètes grecs et latins qui l’avaient précédé ? Que faisait Térence ? De deux comédies presque fondues ensemble, il composait une comédie latine, qu’il appelait, par cet endroit même, une comédie nouvelle ; et de quel mépris ne sont pas demeurés accablés ceux qui osèrent, de son temps, crier au voleur ? Y a-t-il dans Molière une seule pièce, sans en excepter ni le Tartuffe, ni le Misanthrope, dont on ne trouvât l’idée dans quelque auteur italien ? Qu’est-ce qui ignore les obligations continues qu’a Corneille au théâtre espagnol, et à tous les auteurs anciens et modernes en général ? Racine nous a-t-il donné une seule pièce dont le sujet, la conduite et les plus beaux détails ne soient tirés ou de Sophocle, ou d’Euripide, ou d’Homère ? À qui appartient la scène incomparable du délire de Phèdre ? N’est-elle pas dans Euripide et dans Sénèque ? Ce dernier poète ne nous offre-t-il pas, presque mot à mot, la déclaration si délicate et si difficile de Phèdre à Hippolyte ? Et M. de Voltaire n’a-t-il pas mis à contribution tous les auteurs connus, grecs, latins, italiens, français, espagnols et anglais ? Qui est-ce qui l’a trouvé mauvais ? Personne s’est-il avisé de faire un crime de plagiat à M. de la Touche de son imitation continuelle de l’Iphigénie d’Euripide ? etc., etc., etc.

Un poète aura emprunté d’un auteur italien quelques incidents que ses ennemis conviennent eux-mêmes qu’on trouve dispersés partout ; il nous en aura fait un ouvrage éloquent, pathétique, touchant, et l’on se soulèvera contre lui, tandis qu’on se tait sur tant d’autres qui ne sont vraiment que d’assez médiocres traducteurs. Quelle injustice ! Mais d’où naît cette différence ? C’est que M. Diderot est à la tête de l'Encyclopédie ; ouvrage qui a excité la haine de la plupart de ceux qui n’ont pas eu assez de mérite pour y faire recevoir un article ; c’est que M. Diderot s’est fait connaître par des ouvrages de philosophie, et qu’on ne peut souffrir qu’il se montre encore comme poète ; c’est que M. Diderot entre dans une carrière nouvelle, et que son début excite la jalousie de ceux qui s’y sont consacrés, et qu’il laisse, du premier pas,

  1. Traduit par Deleyre, et publié par les soins de Grimm