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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/441

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CHARLOTTE.

Et la suite de cela ? d’exposer votre vie pour avoir le plaisir de châtier un coquin.

LEUSON.

Ma vie ! Ah ! madame, je suis trop heureux que vous daigniez y prendre intérêt. Mais ne craignez rien pour moi ; soyez assurée que j’ai démasqué cet homme, et qu’il ne serait guère plus facile de le rendre brave qu’honnête.

CHARLOTTE.

Mais enfin, vous avez un dessein ; quel est-il ?

LEUSON.

Il faut que je voie clair, avant que de rien arrêter ; j’ai des soupçons que je crois fondés ; mais pour les suivre et agir en conséquence, il me semble qu’il me manque une autorité. S’il m’était permis de me montrer le frère de M. Beverley… Si les intérêts de la famille devenaient les miens… Voyez, madame ; il ne tiendrait qu’à vous de donner à mes démarches un caractère qui leur est nécessaire et qui leur manque.

CHARLOTTE.

Je vous ai dit mes raisons, et j’espère que vous n’insisterez pas. Vous allez encore m’accuser d’indifférence ; mais, dites-moi, serait-il d’une âme honnête de se livrer à quelques sentiments doux, à côté d’une sœur plongée dans la misère et navrée de douleur ? Sa situation, que je vois, me désole ; et tant que sa triste perspective durera, il n’y a pas d’apparence que je permette à la tendresse de m’en montrer une agréable.

LEUSON.

Mais quel inconvénient trouvez-vous à joindre un second titre à celui d’ami que j’ai déjà ? À Dieu ne plaise que je veuille ajouter à votre peine et vous offenser ! mais votre maison est maintenant sans appui ; elle menace ruine de tous côtés, et voilà le moment ou jamais de chercher un état… Daignez-y penser.

CHARLOTTE.

Je penserais à… ! Non, non… Il me faut d’abord du repos, et puis… Changeons de discours… Ne verrez-vous pas ma sœur ? Elle ne peut plus résister à sa peine ; elle est accablée. Je lui avais trouvé jusqu’à ce moment de la fermeté ; elle n’en a plus, elle est brisée.