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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/482

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intermission, point de répit : ce n’est pas là le cours du hasard ; il y a autre chose.

STUKELY.

Aussi maltraité que vous, je me sens plus de justice ; cependant je suis triste de mon caractère, et porté à la défiance. Mais il n’y a qu’une voix sur ce Dauson et sur les autres. Tout le monde en dit du bien ; et puis, nous y avons regardé de près. Mais le privilège de ceux qui perdent au jeu est de prendre pour des fripons ceux qui les ont gagnés. Sauvons au moins l’honnêteté du naufrage.

BEVERLEY.

Avec cela, je ne sais que croire. Cette nuit me confond ; je ne sais plus que devenir. J’ai perdu, j’ai perdu tout ce que j’avais ; j’ai perdu plus que je n’avais. Voilà ma fortune entière, ma fortune entière ! entre les mains de ces fripons. Ils ont joué sur ma parole tant que j’ai voulu, plus qu’ils ne voulaient. C’est moi qui les ai sollicités jusqu’à l’impatience. Ils sont maintenant occupés à s’arracher nos dépouilles. Que faire ?

STUKELY.

Rien ; il ne me vient que des conseils pervers.

BEVERLEY.

Tout est dit. Je ne Survivrai point… (En le saisissant violemment à la gorge.) Malheureux, c’est toi qui m’as conduit dans l’abîme. Parle, parle, dis-moi le moyen d’en sortir. Dis, ou je te poignarde, et moi après.

STUKELY.

Dépêchez-vous, et me délivrez d’un ingrat.

BEVERLEY.

Pardonne, mon ami… Je ne sais ce que je dis… Ce n’est pas moi, c’est la rage qui parle… c’est le désespoir qui s’exhale… Où aller ?… Chez moi ? Je ne saurais ; ma maison m’est en horreur. Je n’y retournerai plus… je n’y retournerai plus ; parle donc, malheureux ! dis-moi si tu vois un fil qu’on puisse saisir dans ces ténèbres. Donne-moi la main ; conduis-moi, et je suivrai.

STUKELY.

En me maudissant. Vous ne m’avez pas épargné l’imprécation. Prenez conseil de vous-même, de votre désespoir. Dans une situation aussi affreuse que la nôtre, il y aurait une der-