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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, VII.djvu/525

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réponds de ma résignation et de ma patience. Ces mains que je lève vers toi, les voilà prêtes à accepter le travail pour lui. Je travaillerai tout le jour, et à chaque heure j’élèverai vers toi mes regards, et je te demanderai son bonheur. La bénédiction que je te prie de m’accorder, c’est de remplir les devoirs de femme tendre et fidèle. Fais que je sente combien je te dois, lorsque tu me mets à portée de lui marquer tout mon dévouement et toute ma tendresse. Fais que je le chérisse ; tais qu’il m’aime et que je le console. Ô ciel ! écoute-moi, exauce-moi, exauce-moi !

BEVERLEY.

Je voudrais me mettre à genoux, et prier aussi : mais le ciel courroucé rejetterait ma prière. Ma voix n’arriverait jusqu’à lui que pour réveiller sa colère et hâter sa malédiction… Et puis, qu’ai-je à demander ?… J’ai rompu avec l’espoir… Demanderai-je de longs jours ? Non, mon terme est marqué. La faveur du ciel sur les miens ? Moi, je formerais des vœux pour ma femme, mes enfants, ma sœur ! moi qui, après les avoir ruinés. ai mis le sceau à leur infortune, et les ai condamnés à des pleurs qui ne tariront plus !… moi ! j’oserais intercéder pour eux ! Non, non.

MADAME BEVERLEY.

Qu’avez-vous donc fait ? Pourquoi serons-nous condamnés à des pleurs qui ne tariront plus ? La pauvreté est-elle donc si affreuse ?… Mon ami, la vie a moins de besoins qu’on ne croit… Il n’y a que le pauvre qui le sache, et nous le saurons… L’indigence n’exclut ni la sérénité ni la paix… La paix et la sérénité sont le fruit d’un travail honnête, nous les connaîtrons.

BEVERLEY.

Jamais, jamais… Vous ne savez pas tout… Le forfait est commis. Il est irréparable.

MADAME BEVERLEY.

Quel forfait ? ciel ! quels regards ! Mon ami, pourquoi me regarder ainsi ?

BEVERLEY.

J’ai abandonné mon âme à la vengeance éternelle. Vous serez malheureux tant que vous vivrez ; moi, je le serai toujours.