Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/187

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lanie m’avait oublié ! eh bien ! eh bien ! je me souviendrais encore d’elle.

C’est la vingtième, je crois. Je répondrai jeudi à votre vingt-deuxième.


XCII


À Paris, le 20 septembre 1765.


Par où commencerai-je ? Ma foi, je n’en sais rien. Pourquoi pas par nos soirées, puisque ce sont pour la chère sœur et pour moi des heures délicieuses, l’attente de toute notre journée et la consolation de son ennui ? Pourquoi n’êtes-vous pas de ces entretiens-là ? Vous auriez entendu tout ce qui s’y dit, et vous sauriez tout ce qu’il m’est impossible de vous rendre. Non, je ne crois pas qu’il y ait sous le ciel une plus honnête et plus innocente créature que cette petite sœur. À l’âge qu’elle a, avec sa pénétration, son esprit, femme et mère, pour peu qu’il y ait de malhonnêteté dans un usage, dans les conventions, dans les mœurs, elle n’y entend rien ; elle est à quinze ans ; cela lui est étranger, et les choses courantes sont des énigmes qu’on lui explique, et au sens desquelles elle a toute la peine du monde à croire. Je lui disais que quand un homme avait osé dire à une femme mariée : Je vous aime, et qu’elle avait répondu : Et moi je vous aime aussi, tout était arrangé entre eux, qu’il ne leur manquait plus que l’occasion ; que, s’il arrivait qu’on trouvât le lendemain cette femme triste, froide, indifférente, soucieuse, on lui supposait des réflexions, des craintes qui l’arrêtaient et qui la faisaient revenir contre un engagement formel ; qu’il était ainsi d’une fille à un homme marié, d’un homme quel qu’il fût à une religieuse, et qu’il n’y avait pas une femme mariée sous le ciel dans la bouche de laquelle je vous aime n’ait précisément la même valeur que dans la bouche de son amant ; que ces expressions n’avaient pas tout à fait la même force d’une jeune fille à un jeune garçon, parce qu’elles ne décelaient point un sentiment défendu ; qu’il y avait un moyen licite de les livrer à leurs désirs mutuels ; que la volonté de leurs parents, et cent