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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/205

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lité même ; c’était son ami, son confident, son conseil et son consolateur ; car cette femme avait des peines domestiques. Il est arrivé à cet homme ce qui arrivera infailliblement à tout homme qui se chargera du soin indiscret et périlleux d’écouter la peine d’une femme jeune, aimable, et d’essuyer ses larmes ; il en versera d’abord de commisération ; puis il en versera d’autres qu’on laissera couler sans les essuyer, et qu’on essuiera. On essuya les siennes. Cette passion a duré pendant deux ans. Après ce court intervalle, sans infidélité, sans mécontentement, sans aucune de ces raisons qui amènent communément la tiédeur et le dégoût, le sentiment tendre et passionné a dégénéré, de la part de l’homme seulement, en une amitié très-vraie et un attachement solide dont on a reçu et dont on reçoit en toutes circonstances les témoignages les moins équivoques. Mais il n’y a plus, plus d’amour. On se voit toujours, mais c’est comme un frère qui vient voir une sœur qui lui est chère. La femme n’a pas vu ce changement sans en éprouver la douleur la plus profonde. L’ami, le confident, le conseil, le consolateur qui lui restait, la soulageait de la perte de l’amour. Elle en était là lorsqu’un autre homme, qui était à mille lieues de soupçonner qu’elle eût jamais eu aucun engagement, simplement attiré par la jeunesse, l’esprit, la douceur, les charmes, les talents de la personne, et peut-être un peu encouragé par son indifférence pour son époux, qui certainement ne mérite pas mieux, s’est mis sur les rangs ; c’est l’homme avec lequel j’ai dîné aujourd’hui. Il a de l’esprit, des connaissances, de la jeunesse, de la figure ; c’est, sans aucune exception, l’enfant le plus sage que je connaisse. Il a trente ans ; il n’a point encore eu de passion, et je ne crois pas qu’il ait connu de femmes, quoiqu’il ait le cœur très-sensible et la tête très-chaude. C’est une affaire de timidité, d’éducation et de circonstances. Il rend des assiduités ; il fait tout ce qu’un honnête homme peut se permettre pour plaire ; il se tait, mais toute sa personne et toute sa conduite parlaient si clairement que deux personnes l’entendirent à la fois ; et voici ce qui lui arrive dans un même jour. Il va le matin faire sa cour à celle qu’il aime. D’abord la conversation est vague ; puis elle l’est moins, puis elle devient plus intéressante ; et l’intérêt allant toujours croissant il vint un moment où, sans être ni fou, ni un étourdi, ni un impertinent, mon