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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/210

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bien doux, bien doux à notre bien-aimée. Comme tout cela va vous faire causer ! Je voudrais bien être là, seulement pour vous entendre.


XCVII


À Paris, le 21 novembre 1765.


Je croyais être à la fin de ma corvée ; point du tout : quelques plaisanteries du sculpteur Falconet m’ont fait entreprendre très-sérieusement la défense du sentiment de l’immortalité et du respect de la postérité.

Ou je me trompe fort, ou il y a dans ce morceau des idées qui vous plairaient, et d’autres idées qui feraient tressaillir de joie la sœur bien-aimée ; vingt fois, en l’écrivant, je croyais vous parler ; vingt fois je croyais m’adresser à elle. Quand je disais des choses justes, sensées, réfléchies, c’est vous qui m’écoutiez. Quand je disais des choses douces, hautes, pathétiques, pleines de verve, de sentiment et d’enthousiasme, c’est elle que je regardais.

Mon goût pour la solitude s’accroît de moment en moment ; hier je sortis en robe de chambre et en bonnet de nuit, pour aller dîner chez Damilaville. J’ai pris en aversion l’habit de visite ; ma barbe croît tant qu’il lui plaît. Encore un mois de cette vie sédentaire, et les déserts de Paco me n’auront pas vu un anachorète mieux conditionné. Je vous jure que si le Prieur des Chartreux m’avait pris au mot, lorsqu’à l’âge de dix-huit à dix-neuf ans j’allai lui offrir un novice, il ne m’aurait pas fait un trop mauvais tour : j’aurais employé une partie de mon temps à tourner des manches de balais, à bêcher mon petit jardin, à observer mon baromètre, à méditer sur le sort déplorable de ceux qui courent les rues, boivent de bons vins, cajolent de jolies femmes, et l’autre partie à adresser à Dieu les prières les plus ferventes et les plus tendres, l’aimant de tout mon cœur comme je vous aime, m’enivrant des espérances les plus flatteuses comme je fais, et plaignant très-sincèrement les insensés qui préfèrent de pauvres joies momentanées, de petites jouis-