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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/213

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premiers objets qui le frappent, c’est une femme belle par admiration, sous la parure la plus élégante et la plus légère, négligemment couchée sur un canapé, la gorge à demi nue, la tête penchée sur une de ses mains, et le coude appuyé sur un gros oreiller. On se retire ; il reste seul avec cette femme ; il se jette à ses pieds ; il lui baise les mains, il lui adresse les discours les plus tendres, les plus passionnés, les plus galants ; on l’écoute ; et quand on l’a écouté en silence, deux bras d’albâtre viennent se reposer sur ses épaules, et une bouche vermeille comme la rose se presser sur la sienne. Il vit six mois avec cette courtisane dans une ivresse dont il ne parle pas encore sans émotion. Il aurait donné sa fortune et sa vie pour elle. Un jour que quelques affaires d’intérêt l’appelaient à Naples pour la journée entière, à peine est-il sorti que dona Flaminia (c’est le nom de la courtisane) ouvre son coffre-fort, en tire tout ce qu’il y avait d’or et d’argent, s’empare de ses flambeaux et de toute sa vaisselle, fait mettre quatre chevaux à un des carrosses de monsieur, et disparaît. Wilkes revient le soir ; l’absence de sa maîtresse l’a bientôt éclairé sur le reste. Il en tombe dans une mélancolie profonde ; il en perd l’appétit, le sommeil, la santé, la raison ; il s’écrie : « Eh ! pourquoi me voler ce qu’elle n’avait qu’à me demander ! » Cent fois il est près de faire mettre à sa chaise de poste les deux seuls chevaux qui lui restent et de courir après son ingrate, ou plutôt son infâme..... , mais l’indignation le retient. Le vol avait transpiré par les domestiques. La justice en prend connaissance : on se transporte chez M. Wilkes ; on l’interroge ; Wilkes, pour toute réponse, dit au commissaire ou juge de quoi il se mêle ? que s’il a été volé, c’est son affaire ; qu’il ne se plaint de rien ; et qu’il le prie de se retirer, de demeurer en repos et de l’y laisser. Cependant les affaires de Wilkes se terminent, et il se dispose à repasser en France. C’est alors que cette femme, qui comptait assez sur l’empire qu’elle avait pris sur lui pour croire qu’il la suivrait à Bologne où elle s’était réfugiée, lui écrit qu’elle est la plus malheureuse des créatures, qu’elle est en exécration dans la ville ; que, quoiqu’il n’y ait aucune plainte contre elle, cependant on prend des informations, et qu’elle risque d’être arrêtée. Wilkes laisse là son voyage de France, part pour Bologne, se met tout au travers de la procédure commencée, rend à cette indigne la sécurité, et même l’honneur