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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/455

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Le lettré[1] a dû vous écrire qu’il y avait sur le rempart vingt pauvres qui mouraient de faim et de froid et qui attendaient le liard que vous leur donniez. C’est un échantillon de notre petit babil, et si vous entendiez le reste il vous réjouirait comme cela.

Il vaut mieux être mort que fripon ; mais malheur à celui qui vit et qui n’a point de devoir dont il soit esclave !

Scipion avait pour amis tout ce qu’il y avait de grands dans la république, et je me doute bien que le chemin de Rome à Linterne et de Linterne à Rome était souvent embarrassé de litières. Mais le plus opulent des vôtres ne saurait payer le louage d’un fiacre sans se gêner, et voilà pourquoi l’on ne trouvera sur le chemin de l’Ermitage à la Chevrette que quelques philosophes pédestres, gagnant pays le bâton à la main, mouillés jusqu’aux os et crottés jusqu’au dos.

Cependant, en quelque endroit du monde que vous voulussiez vous sauver d’eux, leur amitié vous suivrait, et l’intérêt qu’ils prennent à Mme Levasseur ; vivez, mon ami, vivez et ne craignez pas qu’elle meure de faim.

Quelque succès qu’ait eu mon ouvrage, et quoi que vous m’en disiez, je n’en ai guère recueilli que de l’embarras et n’en attends que du chagrin. Adieu, à samedi[2].


XIV

AU MÊME
Janvier 1757.

Mme d’Épinay m’a fait dire vendredi par monsieur son fils que vous arriveriez samedi et qu’il était inutile que j’allasse à l’Ermitage. Il eût été si bien à vous de venir et j’étais si con-

  1. Surnom que l’on donnait dans l’intimité au jeune fils de Mme d’Épinay.
  2. La réponse de Rousseau à cette lettre est datée du mercredi soir 1757, et commence par : « Quand vous prenez des engagements… »