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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/46

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naturelle. J’en suis bien aise. J’aime mieux votre surface anguleuse et raboteuse que le poli maussade et commun de tous ces gens du monde. Au milieu de leur bourdonnement sourd et monotone, si vous jetez un mot dissonant, il frappe, et on le remarque. Tant mieux si elle n’a rien vu de votre trouble ; car je pense que sa réflexion vous troubla. Ses principes, ses principes ! Tout cela vaudrait bien la peine d’être discuté. Je trouve qu’elle se permettrait aisément la chose importante, et qu’elle se ferait un grand mérite de s’interdire l’accessoire qui n’est rien.

Non, chère amie, vous avez beau prêcher la sobriété, vous ne m’ennuierez point ; je verrai toujours l’intérêt que vous prenez à ma santé, et je ne m’en corrigerai pas davantage. Pourquoi voulez-vous que votre sermon m’ennuie ? Et puis je mange de distraction ; que faut-il que j’y fasse ? Comment parvient-on à n’être pas distrait ?

Je suis fâché que vous n’ayez pas pu parler à votre sœur de mon avis sur le philosophe. Peut-être c’est ce qu’il y a de mieux et de singulier dans ma lettre. J’insiste. Un homme aimable, qui resterait froid à côté d’une femme à prétention, finirait par en être haï. On ne sait jamais ce que feraient ceux qui cherchent à droite et à gauche des appuis à leur malhonnêteté secrète. Je hasarde cette phrase, parce que j’espère que vous ne vous rappellerez point l’endroit de votre lettre auquel elle a rapport. Mais je m’aperçois que je vous écris d’humeur, et j’en ai en effet.

Vous savez que ce pauvre La Condamine a perdu ses oreilles, à Quito, en mesurant un angle de l’équateur et du méridien, pour déterminer la figure de la terre. Il court une place vacante à l’Académie française, et on lui objecte sa surdité. Ne trouvez-vous pas cela bien cruel ? Il ne lui manquait qu’à perdre les yeux dans les sables brûlants des bords de la rivière des Amazones, et puis ils auraient dit que cet homme n’était plus bon qu’à noyer. Ces injustices me désespèrent. D’Alembert vient de faire une action qui trouve des apologistes. Vous savez que La Condamine est l’apôtre de l’inoculation en France ; eh bien ! à la rentrée publique de l’Académie des sciences, d’Alembert vient de lire un Mémoire que tous les sots doivent prendre pour un écrit contre l’inoculation, et que tous les gens d’esprit disent