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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/461

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que je n’ai jamais éprouvé un trouble d’âme si terrible que celui que j’ai.

Oh ! mon ami, quel spectacle que celui d’un homme méchant et bourrelé ! Brûlez, déchirez ce papier, qu’il ne retombe plus sous vos yeux ; que je ne revoie plus cet homme-là, il me ferait croire aux diables et à l’enfer. Si je suis jamais forcé de retourner chez lui, je suis sûr que je frémirai tout le long du chemin ; j’avais la fièvre en revenant. Je suis fâché de ne lui avoir pas laissé voir l’horreur qu’il m’inspirait, et je ne me réconcilie avec moi qu’en pensant que vous, avec toute votre fermeté, vous ne l’auriez pas pu à ma place : je ne sais pas s’il ne m’aurait pas tué. On entendait ses cris jusqu’au bout du jardin ; et je le voyais ! Adieu, mon ami, j’irai demain vous voir ; j’irai chercher un homme de bien, auprès duquel je m’asseye, qui me rassure, et qui chasse de mon âme je ne sais quoi d’infernal qui la tourmente et qui s’y est attaché. Les poëtes ont bien fait de mettre un intervalle immense entre le ciel et les enfers. En vérité, la main me tremble.


XVIII

À M. N…, À GENÈVE.


Des occupations, des embarras, des chagrins, de la mauvaise santé, voilà, monsieur, depuis deux mois que je vous dois une réponse, ce qui m’a fait dire tous les jours : demain, demain. Mais quoique ma négligence soit inexcusable, vous m’en accorderez le pardon, vous imiterez celui qui nous reçoit en quelque temps que nous revenions, et qui jamais n’a dit : C’est trop tard.

J’ai été touché de vos éloges plus que je ne puis vous l’exprimer ; et comment ne l’aurais-je pas été ? Ils étaient d’un homme chargé par état, et digne par ses talents, de prêcher la vertu à ses semblables. En approuvant mes ouvrages, et en m’encourageant à les continuer, il semblait m’associer à son ministère. C’est ainsi que je me considérais un moment, et j’en