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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/516

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nécessité de ces dépôts, la cause de leurs variations, la raison de l’approbation et de l’improbation alternatives des parents, les apparences de spoliation et la cause des dépositions et de la contradiction de ces dépositions. Qu’avait donc de mieux à faire cette fille attaquée juridiquement par ses frères, si elle avait été bien avisée et bien conseillée, sinon de dire nettement la vérité ? Elle ne l’a pas fait : c’est une imprudence qui lui a attiré la condamnation des deux premiers tribunaux ; encore ces tribunaux lui ont-ils laissé une porte ouverte, en exigeant l’affirmation des frères, condition qui marque ou que la spoliation n’est pas avérée ou que la valeur appréciée à 1,500 francs est exagérée. Mais, me direz-vous, croyez-vous que cette fille n’ait pas été favorisée par ses père et mère ? Je crois qu’elle l’a été et qu’il était naturel et juste qu’elle le fût. Croyez-vous qu’elle n’ait pas lassé la bienveillance de sa mère et que cette mère ne l’ait pas secrètement avantagée ? Je crois que l’un et l’autre s’est fait. Croyez-vous que cette fille, après le décès de sa mère, n’a pas été tentée de s’égaliser à ses frères par quelques effets détournés ? Je n’en doute pas. Mais, monsieur, si vous saviez ce que c’est que la misérable petite fortune d’un ouvrier de province ; ce que c’est que ces petits avantages que les parents font de la main à la main de préférence à un enfant ; ce que c’est que ces soustractions, soit en argent, soit en linge, soit en ustensiles, qu’on peut faire disparaître après leur décès, cela vous ferait pitié. Je vous en parle selon ma conscience, je ne donnerais pas dix louis de tout ce que les frères peuvent légitimement répéter contre leur sœur ; et encore est-elle exposée à perdre la vie pour se procurer ce petit avantage illicite : car elle était morte si elle eût été rencontrée dans les rues, lorsqu’elle portait de nuit, sous différents déguisements, des paquets déguenillés dans son tablier. Desgrey père était forgeron, mon père l’était aussi. Ces deux ouvriers étaient amis intimes. La fortune de mon père était dix fois au moins plus considérable que celle de Desgrey, et je vous jure, monsieur, qu’il eût été impossible à ma mère ou à ma sœur de soustraire deux louis à l’insu de mon père. Les petits particuliers connaissent jusqu’à un écu la somme de leurs épargnes. Les gros effets apparents sont en évidence, le reste n’est rien ; et dans une maison incomparablement mieux fournie que celle de Desgrey, la maison de mon père, nous n’avons pas cru