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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/54

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de ces eaux est un jeune homme beau, bien fait, leste d’action et de propos, ayant de l’esprit et du jargon, fréquentant le monde, et en possédant à fond les manières. Il s’appelle Vielard. Il y avait environ dix-huit mois que l’équitable Mlle Hus avait rendu justice dans son cœur au mérite de M. Vielard, et que M. Vielard avait rendu justice dans le sien aux charmes de Mlle Hus. Dans les commencements, M. Bertin était enchanté d’avoir M. Vielard ; dans la suite il devint froid avec lui, puis impoli, puis insolent ; ensuite il lui fit fermer sa porte, ensuite insulter par ses gens. M. Vielard aimait et patientait. Il y eut avant-hier huit jours que M. Bertin s’éloigna de Mlle Hus sur les dix heures du matin, pour aller de Passy à Paris. Il faut passer sous les fenêtres de M. Vielard. Celui-ci ne s’est pas plus tôt assuré que son rival est au pied de la montagne, qu’il sort de chez lui, s’approche de la porte de la maison qu’habite Mlle Hus, la trouve ouverte, entre, et monte à l’appartement de sa bien-aimée. À peine est-il entré que toutes les portes se ferment sur lui. M. Vielard et Mlle Hus dînèrent ensemble. Le temps passe vite ; il était quatre heures du soir qu’ils ne s’étaient pas encore dit toutes les choses douces qu’ils avaient retenues depuis un temps infini que la jalousie les tenait séparés. Ils entendent le bruit d’un carrosse qui s’arrête sous les fenêtres ; ils soupçonnent qui ce peut être. Pour s’en assurer, Vielard s’échappe par une garde-robe, et grimpe par un escalier dérobé au haut d’un belvédère qui couronne la maison ; de là il voit avec effroi descendre M. Bertin de sa voiture ; il se précipite à travers le petit escalier ; il avertit la petite Hus, et remonte. Il sortait par une porte et M. Bertin entrait par une autre. Le voilà à son belvédère, et M. Bertin assis chez Mlle Hus ; il l’embrasse, il lui parle de ce qu’il a fait, de ce qu’il fera : pas le moindre signe d’altération sur son visage. Elle l’embrasse, elle lui parle de l’emploi de son temps et du plaisir qu’elle a de le revoir quelques heures plus tôt qu’elle ne l’attendait. Même assurance, même tranquillité de sa part. Une heure, deux heures, trois heures se passent. M. Bertin propose un piquet, la petite Hus l’accepte. Cependant l’homme du belvédère profite de l’obscurité pour descendre, et s’adresser à toutes les portes qu’il trouve fermées. Il examine s’il n’y aurait pas moyen de franchir les murs ; aucun, sans risquer de se briser une ou deux jambes.