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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, XIX.djvu/57

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l’indignation occupent maintenant et tourmentent, les furies s’en seront allées pendant le sommeil ; la tendresse et tout son doux cortège reprendra sa place, et je ne voudrai plus mourir. Je vous plaignais d’être séparées ; je vous plains d’être l’une à côté de l’autre, sans jouir de ce bonheur.

Ce que vous me dites de l’enterrement et du testament de Clarisse[1], je l’avais éprouvé ; c’est seulement une preuve de plus de la ressemblance de nos âmes. Seulement encore mes yeux se remplirent de larmes. Je ne pouvais plus lire, je me levai, et je me mis à me désoler, à apostropher le frère, la sœur, le père, la mère et les oncles, et à parler tout haut, au grand étonnement de Damilaville qui n’entendait rien ni à mon transport ni à mes discours, et qui me demandait à qui j’en avais. Il est sûr que ces lectures sont très-malsaines après le repas, et que vous choisissez mal votre moment ; c’est avant la promenade qu’il faudrait prendre le livre. Il n’y a pas une lettre où l’on ne puisse trouver deux ou trois textes de morale à discuter.

Uranie, Uranie, chère sœur, vous négligez votre santé ! vous perdez votre estomac et vos forces sans ressource ; vous serez infirme à la fleur de votre âge, et vous quitterez la vie au moment où vos conseils, votre indulgence et vos secours seraient si nécessaires au petit sauvage. Ce fut quand Télémaque fut chez Calypso qu’il eut besoin de Minerve, et vous risquez de l’abandonner dans le vestibule de la caverne enchanteresse. Vous êtes juste. La vie est une mauvaise chose. Nous en convenons avec vous, elle et moi. Mais il faut la conserver en faveur de ceux à qui on a eu le malheur de la donner.

Non, je ne suis pas pressé de ces fragments ; vous me les renverrez quand il vous plaira. Je m’étais presque engagé d’aller retrouver, à la Chevrette, mes pigeons, mes oies, mes poulets, mes canetons et le cher cénobite. C’est une partie remise. Je viens de recevoir de Grimm un billet qui blesse mon âme trop délicate. Je me suis engagé à lui faire quelques lignes sur les tableaux exposés au Salon ; il m’écrit que, si cela n’est pas prêt demain, il est inutile que j’achève. Je serai vengé de cette

  1. Clarisse Harlowe.